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et cette suppression termine sans résultat une mortelle campagne qui, à son début, lut pourtant bruyamment acclamée par l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre. La France, il est vrai, y fut représentée par le d’Estaing, le Bouret et le Boursaint, mais simplement pour empêcher que des étrangers prissent un droit de visite sur des bateaux battant pavillon français.

La première des trois puissances nommées plus haut a dépensé en blocus des sommes énormes, et perdu en croisières très fatigantes beaucoup de braves gens. Quel a été, en définitive, le résultat de ces sacrifices ? Se saisir de quelques boutres suspects. C’est que, paraît-il, les arraez arabes s’entendent fort bien à dissimuler dans leur dahous une marchandise vivante, en entassant sur elle sacs, toiles à voiles et fûts vides. Dans la Mer-Rouge, où le trafic des enfans est des plus considérables, les négriers, en cas d’alerte, font tout simplement descendre ces petits malheureux dans une île, et ils les tiennent cachés, tant que la croisière est en vue, dans des cavernes dont l’entrée est masquée avec soin. Ce qui rend la répression plus difficile encore, c’est la situation faite aux esclaves. Les voilà libres, mais après ? Qui leur donnera à manger ? Sous quel joug vont-ils retomber ? Et à terre, les aidera-t-on à regagner leur village ? Beaucoup aiment mieux rester avec un maître qu’ils connaissent, que de courir le risque de mourir de faim sur une plage désolée, d’avoir à travailler sous les ordres d’un Européen qu’on leur a dit être mangeur de noirs. Oui, les Arabes ont persuadé, aussi bien aux négrillons qu’aux grands nègres, de grands enfans aussi, que nous trouvions leur chair savoureuse. Quelle ne doit pas être la terreur de ces infortunés et comment ne se prêteraient-ils pas au mutisme, aux mesures de prudence qui leur sont imposées, lorsqu’on leur signale au loin, rayant largement l’horizon, un panache de fumée ou plutôt la chevelure de l’ogre géant qui fouille les mers pour les prendre et les dévorer ?

Autrefois, les nègres étaient vendus en place publique ou sur des marchés ad hoc ; aujourd’hui les ventes se font dans des maisons particulières. C’est le seul résultat qui ait été obtenu. Fermez les harems, et la solution sera tout autre, car il n’y a pas seulement des hommes faits sur les marchés de Hodeida et de Djeddah : il y a aussi des enfans et de jolies Abyssines au teint clair et aux beaux types européens. Mais c’est demander l’impossible aux mahométans : ils se contenteront comme nous d’une femme le jour où, par la suppression de la traite, ils en seront réduits à la portion congrue.