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ouvertement ailleurs. À Loheïa, petite bourgade située au nord d’Hodeida, on crie encore quelquefois sur les places le prix d’un esclave mis aux enchères ; le sous-gouverneur reçoit deux talaris par tête d’esclave vendu ; de plus, il en choisit pour lui un ou deux à chaque nouvel arrivage. Avec de tels fonctionnaires, on comprend que les marchands en question puissent continuer à se livrer en toute sécurité à leur trafic. Tout ce que la Turquie fait contre eux, m’a dit M. George Grimaux, ne sert qu’à donner un semblant de satisfaction aux puissances européennes ; ainsi, tout dernièrement, un bâtiment de guerre ottoman saisissait deux barques avec cent soixante nègres, et la Porte s’en est longtemps autorisée et s’en autorise encore pour répondre victorieusement aux accusations qui sont portées contre elle. Mais ce n’est qu’un cas isolé et ne suffisant pas à détruire ce qui se passe tous les jours à l’abri du pavillon ottoman. On estime à plus de mille les Africains qui sont vendus annuellement à Hodeida. C’est peu, il faut le reconnaître, comparativement à ce qui se passe à Djeddah, où les ventes se font par dizaine de mille.

On se souvient peut-être d’un étrange pari dont toute la presse s’occupa il y a environ un an. Un haut fonctionnaire russe soutint à un fonctionnaire anglais, en résidence à Constantinople, que, malgré toutes les précautions prises par la Turquie et l’Angleterre contre le commerce des nègres, il se faisait fort de lui procurer, sur l’heure, une esclave blanche et chrétienne. Le fonctionnaire anglais accepta le défi et perdit son pari.

Il reste donc établi, indéniable, que des esclaves, après avoir traversé la Mer-Rouge et après s’être montrés sur les marchés d’Arabie, sont ensuite transportés par caravane jusqu’en Syrie et embarqués de nouveau sur la Méditerranée. Le fait est encore attesté par le consul anglais Dickson, dont le poste officiel est à Damas ; d’après lui, ce sont des pèlerins venant de la Mecque qui en introduisent le plus, car on ne se défie pas des marchands d’esclaves qui pénètrent par la voie de terre en Turquie ; il en vient aussi par eau à l’île de Crète et à Smyrne. Si les nègres, hommes et femmes, sont actuellement plus recherchés comme domestiques que par le passé, c’est parce que les esclaves du pays des Tcherkesses n’arrivent plus qu’en très petits nombres en pays musulman ; les quelques districts dont les habitans, des Circassiens, étaient encore sujets turcs, ont été annexés par la Russie.

Est-ce la connaissance de ce qui se passait dans la Méditerranée, dans des eaux baignant des côtes européennes, qui a motivé le blocus de Zanzibar ? Il y a de cela sans doute dans cette mesure extrême. On vient de le supprimer à la date du 10 octobre dernier,