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Les lettres de Livingstone entretenaient chez nos voisins l’irritation contre les oppresseurs des noirs, et, tout bon Anglais qui à l’abbaye de Westminster, ce Panthéon de la Grande-Bretagne, lisait l’épitaphe gravée sur le tombeau de l’illustre missionnaire, se considérait comme l’héritier de la haine vigoureuse que Livingstone avait montrée contre l’esclavage. « Je ne puis rien faire de plus, y lit-on, dans l’abandon où je vais mourir, que de souhaiter que les bénédictions les plus abondantes du ciel descendent sur tous ceux, quels qu’ils soient, Anglais, Américains, Turcs, qui contribueront à faire disparaître du monde la plaie affreuse de l’esclavage. »

Comment se fit-il que, au congrès de Berlin, en 1878, quand jamais plus belle occasion ne s’était présentée pour traiter la question de l’esclavage, l’Angleterre, oubliant la lutte qu’elle avait soutenue contre cette institution pendant quatre-vingts ans, son attitude militante au congrès de Vienne en 1815, et à la conférence de Vérone en 1822, s’opposa absolument à ce qu’il en fût question ! Hélas ! un traité secret la liait alors avec la Turquie, et elle se trouvait dans l’impossibilité de lui dire qu’avec des harems et un millier d’ennuques dans ses palais d’Europe et d’Asie, il lui fallait bien recruter des esclaves pour cette inqualifiable domesticité. Chacun sait cela aussi bien à Londres qu’à Constantinople, mais il n’est pas toujours aisé de parler de ce qui crève les yeux. Nul, non plus, ne sait mieux ceci que l’Angleterre : l’esclavage ne se maintient que dans les pays où le croissant est le maître, et tant que les fils du prophète seront convaincus qu’un noir ou un blanc qui ne partage pas leur croyance doit les servir, l’Afrique sera exploitée par leurs agens. Les sociétés antiesclavagistes de la Grande-Bretagne comptaient triompher par des moyens moraux d’un caractère pacifique et religieux. Cela eût été pour le mieux s’ils avaient réussi, mais j’ai étudié sur place et sous bien des latitudes le caractère des sectateurs de Mahomet et je reste persuadé que les sociétés religieuses européennes et de toute nature se trompent grossièrement si elles espèrent assouplir ce caractère. Voilà déjà plus de cinquante ans qu’elles y travaillent et sans jamais aboutir. C’est à Constantinople qu’est la solution qu’elles cherchent ; elles s’en apercevront le jour, — mais pas avant, — où la politique anglaise, plus libre de parler qu’en 1878, leur permettra d’y voir clair.

Le Blue book publié à Londres en 1888 ne peut être suspect, car il n’a en vue aucune propagande, et son rôle se borne à raconter les faits. Il a donné un léger aperçu des pays où l’esclavage sévissait en cette année-là ; rien de plus navrant, mais aussi rien de plus instructif. On y apprend que les nègres mis en vente au Maroc viennent du Soudan ; quoique ayant traversé le désert, et par