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pour eux, plus prolifiques que les descendans de Japhet ; sans ce privilège, le centre du continent africain, qui perd encore tous les ans 500,000 de ses enfans, — c’est le chiffre donné par M. le cardinal Lavigerie et ses pères, — serait aussi dépeuplé que le Sahara.


II

L’opinion devenait chaque jour de plus en plus attentive aux récits des drames maritimes et terrestres que faisaient les capitaines négriers et leurs armateurs, et cela malgré le silence qui régnait à Baltimore, Savannah, Charleston et la Nouvelle-Orléans, lorsqu’on sommait ces villes de dire si elles traitaient leurs serviteurs avec bonté et comme des créatures de Dieu devaient l’être. Par les négriers on sut que les roitelets d’Afrique se battaient sans répit, afin de se procurer les noirs qui leur étaient demandés, ce qui permettait de dire aux esclavagistes que beaucoup de prisonniers, s’ils n’avaient été achetés par eux, auraient été sacrifiés aux fétiches ou mangés. Mais ce que les ennemis des nègres ne disaient pas, c’est que la traite alimentait la guerre ; ce qu’ils ignoraient alors, c’est que les mangeurs d’hommes étaient aussi rares en Afrique qu’en Océanie, et qu’il n’y avait guère que les rois de Dahomey ou les rois des Achantis qui se donnaient le luxe des grandes hécatombes.

Comme aujourd’hui encore, les esclaves n’arrivaient pas tous à leur port d’embarquement. C’est ainsi qu’il advint, un jour, qu’une caravane de captifs formée en Nigritie pour être dirigée sur le littoral, et n’ayant pas rencontré de l’eau dans une oasis où d’habitude il s’en trouvait, périt tout entière de soif. Elle se composait de 2,000 individus et 1,800 chameaux. D’une autre caravane de ce genre, comptant 1,000 prisonniers, il ne s’en sauva que 21. La façon de faire voyager les noirs était identique, ainsi qu’on le verra, à celle en usage à notre époque : colliers de cuir, carcans de fer, fourches, jougs, la jambe droite de l’un enchaînée à la jambe gauche de l’autre ; les conducteurs à cheval ; coups de lanières ou de fouets pour accélérer la marche ; mort violente pour ceux qui, à bout de forces, ne peuvent suivre le sinistre convoi. Résultat : 40 noirs sur 100 périssent dans le trajet.

Par les armateurs, on sut qu’en échange d’une pièce d’andrinople ou de cotonnade bleue d’une valeur de 100 francs, leurs capitaines avaient un nègre qu’ils revendaient 1,000 francs aux planteurs de Cuba. Une pétition d’armateurs français apprit au