Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lord Hartington, contenait les quatre articles suivans : « 1o  la présence des députés irlandais à Westminster ; 2o  la suprématie du parlement impérial maintenue ; 3o  l’indépendance de l’Ulster garantie ; 4o  l’ordre et le respect de la loi assurés en Irlande. Les conférences n’aboutirent pas. Pourquoi ? M. Morley explique cet échec par quelques mots amers échappés à M. Chamberlain dans un article de revue. M. Chamberlain attribue la rupture des négociations à un veto de M. Parnell. La vérité est que, de part et d’autre, la défiance croissait chaque jour, et, malgré la rondeur de la table, la ligne de démarcation était de plus en plus nette entre les deux partis. Les déclamations passionnées de M. Redmond à Chicago, surtout le fameux pian de campagne de M. Dillon (ce nom porte malheur) et les excès qui en furent la suite, avaient achevé d’ouvrir les yeux à M. Chamberlain et à ses amis.

Au printemps de 1887, il annonça le désir de visiter le nord de l’Ecosse et les îles voisines. Aussitôt des lettres menaçantes lui parvinrent. L’un de ces correspondans lui promettait, s’il mettait le pied dans l’île de Skye, « qu’une royale volée d’œufs pourris y saluerait son débarquement. » Un autre, plus exalté, jurait que l’apostat ne sortirait pas vivant du territoire écossais. M. Chamberlain vint, n’essuya aucun outrage, ne courut aucun péril et ne se vit offrir que des œufs frais. Il étudia sur place et par lui-même la question des crofters et parla aux libéraux de Glascow de façon à leur faire entendre que le véritable Chamberlain existait encore et n’avait pas abdiqué ses théories. Il leur donnait encore quelque vague espoir de réconciliation. Bien de semblable dans ses discours d’automne, lorsqu’il parcourut en triomphe l’Ulster.

Vers ce moment, il acceptait de lord Salisbury la mission d’aller, en qualité de commissaire spécial, régler la question, toujours pendante, des pêcheries du Canada. « Il luit la lutte, crièrent ses anciens partisans, devenus ses adversaires ; il n’oserait se montrer à Birmingham ! » Dès le lendemain, il paraissait devant ses électeurs, le front haut, et obligeait les membres du fameux Caucus radical à saluer d’un grognement le nom de Gladstone, à applaudir des paroles courtoises et modérées sur lord Salisbury.

Si le « cousin Jonathan » n’est pas très expert à caresser et à flatter, il faut convenir que ses filles et ses sœurs s’en acquittent à souhait pour lui. La haute société de Washington choya M. Chamberlain de mille façons. Entre temps, il négociait, avec M. Bayard un traité dont il annonça la conclusion à lord Salisbury avec la satisfaction naturelle à un diplomate débutant. Dans un banquet de trois mille couverts, offert par la Société des Fils de Saint-George, il caractérisa complaisamment son œuvre. C’était mieux qu’une