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on en use pour se cantonner dans des pratiques étroites ou surannées, pour refuser son concours à l’œuvre commune, pour demeurer isolés et stationnaires au milieu des efforts incessans et des progrès renouvelés. Mais quand on ne le réclame que pour agrandir un champ d’action trop étroitement mesuré, pour faire la place plus large à toutes les manifestations de son rôle, pour rendre plus de services, supporter plus de fatigues et courir plus de dangers, pour aller à la fois plus loin et plus vite ; alors il devient une force. C’est un généreux amour-propre et une ambition légitime.

Aussi bien, on peut trouver, chez une nation voisine et rivale, un exemple saisissant. Les transformations matérielles et scientifiques de la guerre, par la variabilité des causes et des résultats, ne peuvent donner de recettes pour le succès ; au contraire, les manifestations morales, par leur immutabilité même, fournissent parfois de lumineux enseignemens.

Il fut une époque où la cavalerie prussienne, aujourd’hui confiante et forte, traversa, comme a fait la nôtre, une période de désillusion et de trouble. C’était au lendemain des guerres napoléoniennes. Après un passé traditionnel, cette cavalerie, du faite des illusions et du prestige, venait de brusquement tomber dans un état d’infériorité et de prostration accablantes. Après Rosbach, elle avait eu Iéna. Tout était analogue dans les situations. Comme la cavalerie française, elle avait un brillant héritage de gloire, comme elle, elle était brave, et, comme elle, elle avait succombé, — succombé à ce point que, des deux cent cinquante-cinq escadrons qui étaient entrés en campagne en 1806, quatre-vingts à peine subsistaient en 1807 ! La surprise avait été complète et le réveil douloureux, — pas assez cependant pour éteindre jusqu’au désir de renouer des traditions si brusquement brisées. Alors, la paix venue, on rechercha les causes de cette déception soudaine. Le 16 juillet 1816, sur l’ordre du roi, le feld-maréchal Blücher posa à tous les généraux de cavalerie qui n’avaient pas désespéré de l’avenir la question suivante : « Pourquoi la cavalerie prussienne n’a-t-elle pas rendu les services qu’on était en droit d’en attendre pendant les dernières campagnes contre Napoléon ? — Par quel moyen faut-il remédier aux inconvéniens qui se sont présentés ? » Tous répondirent : « Au lieu de disséminer sa cavalerie dans les brigades ou divisions d’infanterie, Napoléon la groupait en masses aussi fortes que possible. Il en résultait que là où elle rencontrait un de nos régimens, elle pouvait lui en opposer trois ; là où nous avions une division, elle en possédait plusieurs. Ceci assurait son succès, et, dans ce succès, la cavalerie française puisa une telle confiance en elle-même que plus tard elle n’hésita pas à nous aborder, n’ayant qu’une cavalerie égale et quelquefois inférieure en