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loyalement toutes les questions, s’écria : « Ah ! monsieur, que vous êtes un honnête homme ! » Il ne nous dit pas si ce fut ce jour-là que, pour la première fois, cette exclamation lui échappa[1].

Ce qui est certain, c’est que Wassenaer sortit tellement encouragé de ce premier entretien, que le projet dont il ne tarda pas à faire remise, non-seulement ne ressembla pas (comme il l’avait annoncé) à la paix telle que la France aurait pu la dicter à Amsterdam ; mais que, si les alliés vainqueurs eussent été à la porte de France, ils n’auraient probablement pas élevé d’autres exigences.

Pour commencer, avant d’entrer même en conversation avec l’Angleterre, la Hollande demandait qu’on lui promit la restitution de la totalité des Pays-Bas à l’Autriche, notamment de toutes les places fortes occupées par l’armée française, et « vous jugerez sans doute (disait la note) que les hautes puissances souhaiteraient que la France voulût bien étendre sa générosité et son affection pour elles jusqu’à rendre ces places en l’état où elles étaient au temps de leur prise, » c’est-à-dire, apparemment, avec leurs remparts relevés et munis d’autant de canons qu’on en avait pris sur les bastions ou dans les arsenaux.

Ce n’était ni tout, ni ce qu’il y avait de plus osé. On sait que, par une stipulation spéciale du traité d’Utrecht, l’un des principaux ports militaires français de la Manche, celui de Dunkerque, d’où l’Angleterre craignait toujours de voir sortir une menace contre elle, avait dû être comblé et ses fortifications rasées, avec défense de les relever. De toutes les conditions subies par Louis XIV dans ses malheurs, il n’y en avait pas de plus douloureuse que cette empreinte d’une main ennemie et victorieuse laissée sur le sol français. La clause étant devenue caduque par ce fait même de la déclaration de guerre, on en avait fait rapidement disparaître les traces, et des travaux venaient d’être opérés à la hâte pour faciliter l’expédition confiée à Richelieu. Wassenaer exigeait que ces travaux fussent détruits, la prohibition remise en vigueur et des commissaires anglais chargés d’en surveiller l’exécution.

Une autre clause du traité d’Utrecht interdisait le séjour de France au chef de la famille déchue des Stuarts. Celle-là aussi devait être non-seulement rétablie, mais étendue du prétendant lui-même à toute sa postérité, afin de bien constater que le prince Edouard était abandonné à son mauvais sort.

L’Espagne, de son côté, devait accepter le rétablissement de ses relations commerciales avec l’Angleterre sur le pied réglé par le

  1. D’Argenson. — Chambrier à Frédéric, 4 mars 1746. — Ce diplomate raconte que d’Argenson lui dit à cette date, probablement le lendemain de la première audience : « Quand je parle à M. de Wassenaer, je crois parler à l’ambassadeur d’Angleterre.