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le 7 février, est à la veille de prendre Bruxelles et Anvers, et cette dernière ville est déjà assiégée. En ce cas, je ne vois pas comment nous pourrions envoyer des troupes sur le continent l’été prochain. — Il n’y a point de doute, écrit de Vienne l’ambassadeur vénitien Erizzo, que si les Hollandais, comme on le craint, s’accommodent avec le roi très chrétien, il n’y aura plus moyen de continuer la guerre dans les Pays-Bas[1]. »

Mais pour la Hollande elle-même, le concours de circonstances qui, en mettant entre ses mains la clef de la situation politique de l’Europe entière, la désignait en même temps comme le point de mire de la plus redoutable des attaques était la cause d’une grande et véritablement cruelle perplexité. Depuis plus d’un demi-siècle, en effet, le sort des Provinces-Unies était rattaché par un lien étroit à celui de l’Angleterre : l’intimité des deux puissances maritimes était telle que, dans le langage des chancelleries, on ne les nommait jamais l’une sans l’autre. Frédéric a caractérisé cette solidarité des deux états par une imago très vive que j’ai déjà eu occasion de citer. — « La Hollande, dit-il, est rangée derrière l’Angleterre comme une chaloupe suit l’impression d’un vaisseau de guerre auquel elle est attachée. » — Fausser compagnie à l’Angleterre, c’était donc couper l’amarre qui reliait la petite embarcation à la grande, au risque de rester ensuite, en pleine mer, isolé au milieu des flots ; aucun politique hollandais n’envisageait de sang-froid une telle résolution, d’autant plus qu’entre la république, fille de la réforme, et la royauté, ennemie du papisme, l’union était affaire de sentimens encore plus que d’intérêt. N’était-ce pas un prince d’Orange qui avait établi à Londres la dynastie protestante ? Déserter cette cause aujourd’hui qu’elle chancelait, quel déshonneur dans le présent, quelle imprudence pour l’avenir ! Et quant à l’Autriche, les descendans de Charles-Quint n’avaient pas, assurément, les mêmes titres héréditaires que ceux de Guillaume III à l’affection des compatriotes des de Wittet de Nassau ; mais depuis les dernières luttes, qu’avait terminées la paix d’Utrecht, on s’était accoutumé à La Haye à considérer la possession des Pays-Bas, par une puissance rivale de la France, comme la seule barrière (le mot était même consacré dans les traités) qui pût être opposée à la pression constante exercée sur cette frontière par l’ambition de la maison de Bourbon. une stipulation expresse obligeait même, on l’a vu, l’Autriche à confier la défense des principales villes fortes des Pays-Bas à des garnisons hollandaises, placées là comme des sentinelles avancées, chargées

  1. Horace Walpole à Horace Mann, 7 février 1746. — (Correspondance d’Erizzo, 5 mars 1746. Archives de Venise.)