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de la frontière de l’Empire et même en Alsace, et moins on sera exposé à causer des inquiétudes que l’impératrice pourrait exploiter. Il suffit donc de tenir un corps d’armée en observation auprès de Thionville, prêt à se porter sur le Rhin (s’il y avait lieu), mais pouvant aussi se relier aisément à l’armée de Flandre, quand sa présence en face de la frontière allemande ne serait plus jugée nécessaire. » On verra combien ces prévisions et ces précautions devaient être justifiées par l’événement.

L’autre épître, visiblement écrite sous l’empire d’un sentiment de colère, a trait tout simplement à un incident survenu dans l’administration du domaine de Chambord, dont une concession royale avait doté le vainqueur de Fontenoy. Par je ne sais quelle erreur de bureau, la capitainerie des chasses de la vaste forêt qui s’étend autour du château s’était trouvée démembrée ; une part en avait été accordée à un châtelain du voisinage, le marquis de Saumery. Maurice l’apprend, et, dans cet arrangement fait à son insu, il voit un piège tendu par ses ennemis. Il prend feu, et l’idée même lui vient de donner sa démission et de laisser tout là : « Bien que je sois au plus fort de ma besogne, écrit-il, cette affaire me donne un tel déplaisir que j’ai pensé d’écrire à ma cour d’en envoyer un autre pour achever cette opération ; mais je suis honnête homme, et j’ai la fatuité de croire que personne n’en serait venu à bout. » — Mais, au moins, il ne veut entendre à aucun accommodement : « Ainsi, ne vous appliquez pas à me faire des assurances de la bonne conduite de M. de Saumery. Je sais de quel bois il se chauffe, et l’idée que j’ai du peu de cas qu’on fait d’un général en France, quand on n’en a pas besoin, ne me laisse que peu de choses à espérer sur les différends que j’aurais indubitablement avec M. de Saumery par la suite, si je laissais le moindre jour à contestation[1]. »

Enfin, vers le milieu de janvier, le froid a repris : les routes sont séchées, on peut donc se mettre en campagne. Les troupes réunies sur six points différens (pour que leur rassemblement ne parût trop remarquable nulle part) reçoivent, le 27, leur ordre de départ et leurs provisions de route, et c’est ce jour-là seulement aussi que les généraux, chargés de les conduire, apprennent dans quel sens et vers quel point ils ont à se mouvoir. Tout le monde doit partir le 28 au matin, Maurice lui-même, quittant Gand, dont les portes restent fermées toute la journée, pour ne laisser passer aucun porteur d’avis indiscret. Mais voici le ciel qui se couvre de

  1. D’Espagnac : Histoire de Maurice de Saxe, t. II, p. 188, 122. — Saint-René Taillandier : Maurice de Saxe, p. 282 et suiv. — Correspondance de Maurice de Saxe, publiée par Grimoard. (Paris, 1794, t. II, p. 110.) — Cette collection est en général conforme au texte des mêmes pièces que j’ai pu consulter au ministère de la guerre.