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L’expédition, sans être officiellement décommandée, était ainsi moralement abandonnée : personne, en France, n’en espérait plus le succès ; et on cessa complètement d’y compter quand deux tentatives de passage, faites par le duc de Fitz-James avec un petit convoi de troupes sur des embarcations isolées, eurent successivement échoué. Il fallut rentrer au port, avant même d’avoir pu prendre le large, afin de ne pas tomber dans les mains des croiseurs anglais.

Mais, même dans de telles conditions, la menace, bien que non exécutée, pouvant toujours l’être d’un moment à l’autre, était loin d’être complètement inutile. Elle tenait le cabinet anglais sur le qui-vive, et la crainte de dégarnir tout à fait sa capitale l’empêchait d’envoyer toutes ses forces à la suite du prétendant en Écosse. Aussi, une première attaque dirigée contre Charles-Edouard à Falkirk, le 4 février, avec des forces insuffisantes, fut-elle repoussée sans peine, et ce nouveau succès, joint à l’attente d’un secours qu’on espérait toujours voir arriver, donna aux vainqueurs la patience de supporter les épreuves d’une campagne d’hiver, que la rigueur du climat et une pénurie pécuniaire à peu près complète commençaient à rendre très rude.

En attendant, à Londres, l’inquiétude se prolongeait, aggravée par les embarras d’une situation ministérielle et parlementaire très compliquée. L’opinion imputait hautement aux ministres (le duc de Newcastle et son frère Pelham) la durée d’un péril qu’ils n’avaient su ni prévoir ni prévenir. Pour regagner la faveur publique qui lui échappait, le cabinet ébranlé eut la pensée de s’adjoindre l’illustre Pitt, l’orateur populaire par excellence, mais l’objet des ressentimens et de l’inimitié personnelle et bien connue du roi. Aussi, dès que la proposition lui en fut faite, George, violemment irrité, crut pouvoir renvoyer, sans autre forme de procès, les ministres qui se permettaient une si insolente exigence et rappeler au pouvoir son ancien favori, Carteret, dont il n’avait d’ailleurs jamais cessé de prendre et de suivre secrètement les conseils. Ce caprice, il est vrai, ne fut que de peu de durée. Carteret, averti de l’impossibilité où il serait de trouver des collègues et de former une administration, dut remettre au bout de quarante-huit heures, au souverain, le mandat qu’il avait reçu, et les Pelham rentrèrent en vainqueurs. Ils assignèrent à Pitt un poste élevé, qui, sans l’associer au ministère, l’en rapprochait et l’y préparait. Mais cette incertitude même, ces brusques allées et venues, cette humiliation infligée à un souverain par ses propres ministres, tout cela était mal compris sur le continent et semblait démontrer l’impuissance où était l’Angleterre, travaillée par des discordes intestines, de venir en aide à ses alliés. L’impression était fâcheuse, surtout en Hollande, et dut