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négociations si souvent interrompues et si souvent reprises entre Rome et Constantinople, mais que les haines têtues des théologiens ne laisseront jamais aboutir. On trouve dans Maundeville une expression assez forte de l’insolence de ces haines : « Ils ne sont pas obéissans à l’église de Rome, ni au pape,.. et c’est pourquoi le pape Jean XXII leur envoya des lettres pour leur rappeler que la loi chrétienne devait être une, et qu’ils lui devaient obéissance, comme étant le vicaire de Dieu sur terre et ayant reçu de Dieu le pouvoir de lier et de délier ; mais ils lui envoyèrent diverses réponses disant ceci entre autres choses : « Nous ne pouvons pas souffrir ton grand orgueil, nous n’avons pas envie d’assouvir ta grande convoitise. Le Seigneur soit avec toi, car Notre-Seigneur est avec nous. Adieu.  » Et il ne put avoir d’eux d’autre réponse… Ils ne souffrent pas que les Latins chantent à leurs autels ; et, s’ils le font par hasard, immédiatement ils lavent l’autel avec de l’eau bénite.  » Les Turcs peuvent donc faire leur œuvre en toute sécurité ; toute la résistance qu’ils rencontreront du côté de l’Occident se bornera, à la fin du siècle, à la croisade des chevaliers français contre Bajazet et à leur glorieuse, mais stérile défaite à Nicopolis.

C’est avec ces sentimens de croisé rétrospectif que Maundeville a fait le voyage de Terre-sainte, et ce sont eux, probablement, qui lui ont inspiré le procédé tout de piété et de respect qu’il a employé pour la décrire. Il parcourt la Palestine pas à pas, bourgade par bourgade, hameau par hameau, et à chacune de ces étapes il nomme le souvenir historique, religieux, légendaire ou fabuleux qui est attaché à la motte de terre sur laquelle son pied est posé. Une impression de grandeur dont on ne saurait se défendre sort de cette nomenclature qui, pour tout autre pays, paraîtrait peut-être aride ; mais la nature particulière de ces souvenirs dissipe toute sécheresse, et peu de choses nous ont fait mieux sentir à quel point l’histoire de ce petit pays est mêlée à notre vie morale que les pages consacrées à cet itinéraire. C’est pour les lieux saints qu’il réserve toute sa ferveur ; mais, dès qu’il sort de Palestine, cette ferveur s’attiédit beaucoup, et il se présente sous un aspect quelque peu inattendu. Il a toute sorte de réserves, de sous-entendus, qui sont d’un demi-sceptique. Il décrit sans trop d’étonnement ni même trop d’horreur les idolâtries qu’il rencontre sur sa route, quelque monstrueuses qu’elles soient. Il compare les croyances les unes aux autres ; et, non content d’établir leurs différences, il cherche leurs ressemblances, et il les trouve. Bref. Maundeville devient, dans cette seconde partie de son voyage, un parfait latitudinaire, aussi est-ce surtout dans cette partie qu’apparait l’idée capitale que nous avons indiquée au début de ces