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l’ont rapprochée de la Profession de foi du vicaire saooyard. « Cet ouvrage, dit Condorcet, a le mérite singulier de renfermer en quelques pages et en très beaux vers les objections les plus fortes contre la religion chrétienne. » Mais quelle en est la date ? C’est ce qu’il a négligé de rechercher, et c’est ce qui importe.

La plus ancienne édition qu’on en connaisse est de 1738 ; mais on croit communément qu’elle dut paraître en 1734, ou en 1733 : Beuchot disait en 1732, et il est certain qu’elle courait manuscrite en 1731. Il y avait alors deux ans que Voltaire était revenu d’Angleterre ; Mais, d’autre part ; on lit, dans un factum de Jean-Baptiste Rousseau : Au. sujet des calomnies répandues contre lui par le sieur Arouet de Voltaire, et daté de 1736 : « Tout allait bien entre nous, lorsqu’un jour, m’ayant invité à une promenade hors de la ville, il s’avisa de me réciter une pièce de vers de sa façon, portant le titre d’Epître à Julie, si remplie d’horreurs contre ce que nous avons de plus saint dans la religion, et contre la personne même de Jésus-Christ ; enfin si marquée au coin de l’impiété la plus noire… que je l’interrompis, en prenant tout à coup mon sérieux. » Quelle est cette Epitre à Julie ? Il semble bien que ce ne puisse être que le Pour et le Contre, dont la composition se trouverait ainsi reportée jusqu’en 1722, puisque c’est en cette année-là que les deux poètes se virent, à Bruxelles, pour la dernière fois. Mais si ce n’est pas le Pour et le Contre ; alors, à en juger d’après le langage de Rousseau, c’est quelque pièce encore plus hardie, qui n’a pas été recueillie dans les œuvres de Voltaire. Et dans l’un comme dans l’autre cas, une telle pièce étant de 1722, ou de 1721 peut-être, elle est antérieure de quatre ou cinq ans pour le moins au départ de Voltaire pour l’Angleterre. Avant d’avoir lu ni Toland ni Collins, avant même de connaître Bolingbroke, Voltaire était donc en possession des principaux argumens de sa polémique antichrétienne. Et puisqu’on ne veut pas qu’il fut capable de les trouver tout seul, nous avons indiqué à quelle source il les avait empruntés.

On demandera pour quelle raison il attendit à les produire. Si la discussion de la première question a jeté quelque jour sur l’origine de ses idées, la discussion de la seconde fera peut-être quelque lumière sur la vérité de son rôle et de son caractère.

Un an de Bastille, trois ans d’exil, et le bruit soulevé par ses Lettres anglaises en 1734 l’avaient rendu prudent. Nous n’avons pour nous en convaincre qu’à parcourir le second volume de la Bibliographie de M. Bengesco, dont les quatre cents pages, comme nous l’avons dit, sont uniquement consacrées aux Mélanges. Les Mélanges de Voltaire, si l’on veut se faire une idée du contenu des quatorze tomes qu’ils remplissent dans l’édition Beuchot, peuvent se diviser en littéraires, comme l’Éloge de Crébillon, ou les Lettres sur la Nouvelle Héloïse ; en scientifiques, tels que les Élémens de la philosophie de Newton ou l’Essai sur la nature du