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ministres ne peuvent s’entendre, et chacun d’eux se méfie des autres. C’est le règne de l’anarchie. S’il se résigne à faire des concessions libérales, pourra-t-il se maintenir quelques années encore ? C’est possible, mais invraisemblable. Il est malade, très malade, et les diplomates accrédités à Paris ne s’en doutent pas. »

Plus significatif encore était le jugement que portait Disraeli sur ce propriétaire malade, usé, vieilli, qui sentait crouler sa maison. Dès le mois d’août 1866, il annonçait que Napoléon III était un homme perdu. Quelques semaines plus tard, pendant un séjour que le comte Vitzthum faisait au manoir d’Hughenden, l’ingénieux auteur de Tancrède, revenant sur ce sujet, prophétisait avec assurance « la fin prochaine de la tragi-comédie du second empire. » — « La banqueroute morale de l’empereur, disait-il, est évidente. Il est du nombre de ceux qui, pour prolonger leur vie, sont condamnés à agir sans cesse. Un homme qui, comme lui, est forcé de toujours agir, doit se créer artificiellement des occasions à exploiter. Dans ce jeu continuel, les faux calculs ne peuvent manquer. Dans l’action, tous les hommes font des fautes, en ne différant que du plus ou du moins. Napoléon III, durant de longues années, a accoutumé les Français à le rendre responsable de tout. Maintenant l’heure du reflux est venue. Tout s’est passé au Mexique et en Allemagne autrement qu’il ne l’avait cru et souhaité ; les conséquences ne tarderont pas à se produire. Il lui est également impossible d’échapper à la guerre avec la Prusse et d’en sortir avec succès. »

Les gouvernemens vraiment forts ne se croient pas tenus d’agir toujours, de donner sans cesse des preuves de force ; mais ils sont capables de commettre des erreurs et des fautes sans se perdre. L’empereur s’était condamné lui-même à l’infaillibilité perpétuelle. Ce fut en vain que, par l’organe de M. de La Valette, il essaya de donner le change à la France en l’assurant que le système des grandes agglomérations et la disparition des états secondaires n’avaient rien d’inquiétant pour elle, « qu’il fallait renoncer aux préjugés étroits et mesquins d’un autre âge, que, grâce à son imposante unité, grâce au rayonnement de son génie, elle n’était pas moins grande ni moins respectée. » Cette circulaire fameuse, que le futur lord Beaconsfield appelait un testimonium paupertatis, et dont il disait que jamais les mots et les phrases n’ont pu servir à déguiser la défaite diplomatique d’un souverain qui, après avoir poussé à la guerre, en revient les mains vides, cette circulaire par laquelle on déclarait tout à la fois qu’on était content, mais qu’on n’avait pas assez de soldats pour se mettre en défense, ne fit illusion à personne.

La France savait qu’un pays diminue quand ses voisins s’accroissent, et que l’empereur s’était gravement trompé dans ses calculs. Elle disait avec le marquis de Gallifet : « Nous avons été battus à Sadowa, et si