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trois volumes déjà parus de ses mémoires il vient d’en ajouter un quatrième, où il raconte la grande crise de 1866, les phases diverses du conflit austro-prussien et les événemens qui l’ont préparé[1]. Les mémoires du comte Vitzthum ne figureront pas parmi les chefs-d’œuvre de la littérature diplomatique. Il a de l’esprit, de la pénétration, et, quand il s’en donne la peine, il conte avec agrément ; mais l’art de composer lui est inconnu. « Le père Gaillard, écrivait Mme de Sévigné, reprit son discours avec tant de prospérité que, mêlant sur la fin Philisbourg, Monseigneur, le bonheur du roi et les grâces de Dieu sur sa personne et sur tous ses desseins, il fit de tout cela une si bonne sauce que tout le monde pleurait ; le roi et la cour l’ont loué et admiré. » Le comte Vitzthum mêle aussi beaucoup de choses dans son discours, mais sa sauce n’est pas si bonne que celle du père Gaillard, et nous ne pouvons lui promettre la même prospérité. Il n’est pas l’ennemi du fatras, il n’omet rien, n’abrège rien, ne nous fait grâce ni d’une pièce de vers trochaïques qu’il composa en 1865, à son retour d’un voyage à Rome, et que publia le Journal de Dresde, ni du toast qu’il aurait porté à la reine d’Angleterre, le 26 août de la même année, si son souverain l’avait envoyé à Cobourg pour y assister à l’inauguration du monument du prince Albert ; par malheur, le roi Jean lui donna l’ordre de n’y pas aller. Il dut garder pour lui son toast fort éloquent, mais un peu long, il nous le sert.

Cela dit, il faut convenir que, dans ce gros volume de 520 pages, il y en a une centaine au moins d’où l’on peut tirer quelque Instruction, et qui sont des os pleins de moelle. En écrivant les meilleurs chapitres de : son livre, M. Vitzthum se proposait sans doute de prouver, une fois de plus, qu’en 1866 la victoire est restée à ceux qui étaient prêts, avisés, prévoyans, résolus ; que d’un côté on savait nettement ce qu’on voulait et qu’on le voulait bien, que de l’autre on n’avait que des volontés flottantes et qu’on faisait le plus souvent le contraire de ce qu’on avait décidé. Des dieux bénins avaient donné à M. de Bismarck des ennemis tels qu’il les pouvait souhaiter, c’était à croire qu’il les avait fait faire sur mesure. À Paris, il avait trouvé un complice involontaire dans un rêveur inappliqué, auquel il avait tâté le pouls à Biarritz, et le cabinet de Vienne lui venait en aide par sa politique ambiguë et louche, par la confusion et le désordre de ses conseils, par ses hésitations, par ses lenteurs et par ces imprudences que commettent les timides à bout de voie.

En ce qui concerne la politique française en 1866, les mémoires du comte Vitzthum n’ajoutent rien à ce que nous avait appris le livre si

  1. London, Gastein und Sadowa, 1864-1866, Denkwürdigkziten von Karl Friedrich Graf Vitzthum von Eckstädt. -Stuttgart, 1889 ; Cotta.