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devant l’intervention possible du divin, sans qu’elle se résolve à se soumettre aux conséquences dogmatiques.

On admet communément qu’il faut chercher dans la littérature les préoccupations d’une société ; à la condition de distinguer à chaque époque, dans le fatras de la production courante, un petit nombre de livres documentaires par le jour qu’ils jettent sur la marche des idées. Les opinions les plus opposées ne varient guère sur le choix de ces livres. Pour l’année où nous sommes, tous les critiques nommeraient en première ligne une œuvre supérieure, le Disciple ; beaucoup voudraient y joindre une étude intime d’une rare sincérité d’accent, le Sens de la vie, de M. Rod. Or les deux ouvrages finissent de même, sur la première phrase de l’oraison dominicale ; les personnages analysés par les deux écrivains murmurent cette prière, comme le dernier mot de leurs angoisses dans la poursuite de la vérité. La rencontre est significative ; elle n’étonnera aucun de ceux qui ont suivi de près le mouvement littéraire depuis cinq ou six ans. — Certaines préférences en matière d’art sont tout aussi instructives. Au Salon de cette année, le cri public désignait pour la première récompense le tableau de M. Dagnan-Bouveret, les Bretonnes au pardon. Quelques semaines après, l’Angélus de Millet, reparaissant dans une vente, soulevait des transports d’enthousiasme ; les connaisseurs, qui placent plus haut d’autres peintures du même maître, ne comprenaient rien à cet engouement. La fortune de ces deux toiles s’expliquerait mal par l’habileté d’exécution, égale ou supérieure dans des œuvres rivales qui nous laissent plus froids ; et il ne semble pas qu’on se soit rendu compte du sentiment auquel obéissait le public, à son insu. Dans l’un et l’autre cas, il acclamait le « tableau de sainteté » tel qu’il nous le faut aujourd’hui, la représentation discrète d’une émotion religieuse dans des âmes simples. — Les manifestations de tout ordre prêteraient à des remarques pareilles pour les milieux de haute culture. Si nous descendons dans la masse de la nation, il n’y a qu’une voix sur la volonté qu’elle vient de signifier ; elle ne veut plus s’associer à la campagne anti-religieuse ; et dans le monde politique, où l’on voit toutes choses sous un angle particulier, il n’est bruit que de tolérance, de transactions.

J’avoue ne pas bien comprendre ces mots, ni les subtilités qu’ils couvrent ; il est douteux qu’un grand pays, très entêté de logique, les comprenne beaucoup mieux. La question se pose plus franchement. D’une part, on croit à la nécessité de fortifier le principe de la vie morale ; les uns par attachement traditionnel, les autres parce qu’à force de voir chanceler l’édifice social, les ont été conduits à chercher une pierre d’angle pour