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La petite salle allemande, où l’on ne trouve pourtant que soixante-quatre peintures et vingt-quatre dessins ou aquarelles, presque tous de petite dimension, en dit bien plus long et sans grand fracas. À Munich et à Berlin, on travaille dur, cela est clair, on y travaille avec méthode et patience, on s’efforce d’y créer un art allemand, un art moderne, dans le sens du courant naturaliste déterminé par la France. Le premier directeur de ce mouvement aura été M. Menzel, ce compositeur ingénieux et fantasque, cet observateur ironique et pénétrant, ce dessinateur à l’emporte-pièce, âpre, incisif, expressif, qui procède à la fois de M. Meissonier et d’Albert Dürer, et qui joint parfois, à la finesse vive de l’esprit français, la vigueur compliquée de l’imagination germanique. Il n’y a de lui, au Champ de Mars, que quelques petites gouaches ; mais qu’on observe seulement, sur ces feuilles si vivement peintes, la puissance extraordinaire de l’expression physionomique, notamment dans le Diplôme d’honneur offert à M. Schwabe par la ville de Hambourg et dans le Moine quêteur, on concevra l’influence qu’un analyste si énergique et si sensible, doué d’une si libre intelligence pittoresque, peut exercer sur son pays. La simplicité seule lui manquait et la poésie profonde qui en découle ; c’est la simplicité que cherchent, en plus, ses successeurs.

Les quatre maîtres dont les œuvres ont frappé tous les visiteurs par leur accent résolu, M. Liebermann, de Berlin, MM. Leibl, Uhde, Kuehl, de Munich, marchent avec ensemble, sans se confondre, dans cette direction nouvelle qui correspond si bien aux tendances scientifiques et positives de l’esprit allemand. Le groupe qu’ils représentent fort incomplètement est déjà très nombreux ; on s’y exerce au dessin par les illustrations de journaux et par la caricature ; c’est là que les Fliegende Blätter trouvent leurs plus amusans collaborateurs. M. Liebermann est celui de tous qui développe le système avec le plus d’opiniâtreté et d’âpreté. Comme beaucoup de ses compatriotes, il a choisi la Hollande pour champ de ses expériences, sans doute parce que le voisinage des beaux maîtres du lieu, si chaleureux et si colorés, lui paraît utile pour se garer de la dureté et de la sécheresse où tombaient volontiers ses prédécesseurs. Précaution intelligente et utile, car si M. Liebermann penche d’un côté, c’est, en effet, de ce côté-là. Dans toute sa série d’études curieuses, la Cour de la maison des Invalides et la Cour de la maison des Orphelines à Amsterdam, les Femmes raccommodant des filets à Katwick, l’Échoppe de savetier hollandais, c’est avec une âpreté brutale, insistante implacable, que M. Liebermann se mesure en artiste qui simplifie avec l’appareil photographique qui détaille, qu’il modèle et qu’il fait saillir,