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et dispersé, grâce à une étude plus attentive des maîtres anciens, grâce aux protestations des paysagistes épris de vives et douces lumières, d’air pur et de fraîcheur.

MM. Matejko et Munkacsy, les deux seuls maîtres originaux de la section, ne sont pas d’Autriche. L’un est Polonais, l’autre Hongrois. Ils ne sont pas exempts de quelque faiblesse pour ces tous neutres, soi-disant chauds, qui n’ont, en général, d’autre effet que de donner aux jeunes peintures une apparence fâcheuse de maturité hâtive et de vieillesse prématurée. L’échantillonnage, bariolé et papillotant, de taches vives et heurtées, qui donne aux toiles du doyen de Cracovie l’aspect pointillé et fourmillant de tapisseries primitives, les crudités du découpage en saillie des figures claires sur des fonds opaques auxquels se complaît le maître hongrois, tiennent à cette façon de comprendre l’harmonie pittoresque par le choc et l’opposition des couleurs et non par leurs rapprochemens et leur fusion. Il n’y a rien de plus contraire au sentiment qui dirige en ce moment presque toute l’école française et qui a trouvé sa formule dans Corot, Millet, M. Puvis de Chavannes.

À première vue, il est assez malaisé de se retrouver dans la longue toile de M. Matejko ; c’est comme un frétillement indéchiffrable de parcelles éclatantes s’agitant avec vivacité dans un vaste kaléidoscope : toutes les couleurs, pêle-mêle, s’y poussent ensemble au premier plan avec la même intensité. Il n’est guère possible de pousser plus loin l’ignorance des sacrifices nécessaires et le mépris des simplifications indispensables. Peu à peu, cependant, l’œil se fait à ce grouillement bizarre, et, dans cette cohue de figures bariolées, on découvre des personnages bien inventés et bien campés, d’une expression ingénieuse et vive, des groupes vivans et mouvementés, et l’on regrette qu’un artiste, d’une imagination si abondante et d’une habileté si singulière, ne cherche pas à mettre plus de clarté dans ses inventions en même temps que plus de simplicité et de vérité dans son exécution.

M. Munkacsy se présente comme l’antithèse criante de M. Matejko. Autant les figures de l’un, bariolées et détaillées, s’entremêlent et s’enchevêtrent en des fouillis compliqués de couleurs, autant celles de l’autre, presque monochromes et simplifiées, se détachent et s’isolent violemment dans un milieu d’une neutralité monotone. L’absence systématique de liaison harmonique entre les personnages est presque aussi notable dans le Christ devant Pilate que dans le Christ au Calvaire. Ce parti-pris ne contribuait pas peu à donner à ces scènes, lorsqu’elles étaient exposées sous un éclairage bien approprié, une apparence de réalité durent brutale qui faisait pousser des cris d’enthousiasme aux gens pour qui le