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Belle Starr comptait autant d’amoureux que le Texas, le Kansas, le Nebraska et le Nevada de desperadoes et d’otlaws. Veuve de Reed, elle épousa Sand, fils d’un Indien Cherokee, qu’elle quitta bientôt, à la suite d’une expédition dans laquelle il eut la maladresse de se laisser prendre. Belle estimait peu les maladroits, et Sand perdit son prestige à ses yeux. Elle choisit alors John Middleton et reprit le cours de sa vie aventureuse ; mais, traqué par la police, Middleton se noya en essayant de franchir le Potseau-River. Alors elle épousa Jim, cousin de son troisième mari, et le 3 février dernier elle mourait, tuée dans une embuscade sur la frontière du Canada. C’était la fin qu’elle ambitionnait, ayant toujours eu, disait-elle, la terreur de mourir dans son lit.

Si étrange que puisse paraître une telle existence, et si remplie qu’elle soit d’invraisemblables incidens, de scènes violentes et brutales, d’aventures bizarres, elle n’est ni plus extraordinaire ni plus singulière que nombre d’autres. Dans un cadre particulier, dans un milieu de révoltés, elle met en relief quelques-uns des traits caractéristiques et saillans de la race, exagérés, poussés à l’excès, mais subsistant à l’état de germe latent. Belle Starr est, par certains côtés, la descendante de ces settlers, de ces frontier’s woomen, intrépides, valant des hommes, prêtes comme eux à faire le coup de feu avec l’Indien, à lutter de ruses avec lui. Type d’un autre temps fourvoyé dans le XIXe siècle, cerveau détraqué par le milieu dans lequel s’est écoulée sa jeunesse, en guerre avec l’humanité, la civilisation et les lois, elle affirme encore la supériorité de la femme sur ces bandits qui l’entourent et la suivent, obéissans à ses volontés, déférens à son sexe, subjugués par son audace et sa beauté.

Dans un autre cadre, dans un milieu différent, nous retrouverons, à un bien moindre degré, tempérés pur l’éducation et la civilisation, l’amour de l’indépendance, les goûts romanesques, le désir de domination, le dédain, dissimulé cette fois, des conventions sociales. L’étude de quelques types féminins de ce monde américain, si curieux, permettra de dégager, des exagérations de l’instinct héréditaire, favorisé ou contenu par les circonstances, les tendances actuelles, la femme américaine moderne, affinée et raffinée, mais si différente de l’Européenne, dont la sépare tout un ensemble d’idées, d’instincts et de traditions, barrière plus large et plus profonde que l’Océan qui, entre les deux mondes, s’étend, dompté par la vapeur et franchi en quelques jours.


C. DE VARIGNY.