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une mauvaise campagne conduite par de faux calculs : la cause conservatrice ne reste pas moins ce qu’elle est, la cause de la paix religieuse, de la prévoyance financière, de l’ordre administratif ; elle garde sa force et ses appuis dans le pays. La plupart des conservateurs qui ont été élus ne le doivent qu’à leur position, à leurs titres, à leurs opinions en dehors de toute alliance boulangiste. Ce sont simplement des conservateurs. Ce qu’ils ont de mieux à faire aujourd’hui, c’est d’être eux-mêmes, de se rattacher plus que jamais aux intérêts qu’ils représentent, de ne plus rien laisser subsister d’une équivoque compromettante que le pays a déjouée, qui reste dans la bagarre des élections.

Un autre vaincu enfin du dernier mouvement électoral, c’est le radicalisme. Quel sera le nombre des radicaux dans la chambre nouvelle, dans la majorité républicaine ? Le nombre, qui reste dans tous les cas diminué, importe peu. Ce sont les programmes qui sont vaincus ; c’est la politique qui a été visiblement désavouée par le pays. Il est impossible de s’y méprendre : il y a dans ce mouvement aussi vaste que confus qui vient de se dérouler en France une lassitude sensible des déclamations, des agitations stériles, des manifestes ambitieux, des promesses décevantes, et, en même temps, une visible modération de vœux, un goût évident pour tout ce qui ressemblerait à une politique sérieuse, laborieuse et pratique. Les opportunistes deviennent presque des modérés, les radicaux deviennent presque des opportunistes. Ce n’est point sans doute que le radicalisme ait abdiqué, qu’il renonce à sas prétendues réformes et à ses propagandes ; combien cependant trouveriez-vous de programmes, de ces programmes prétentieux et retentissans d’autrefois, où l’on parle de l’abolition du sénat, de l’impôt sur le revenu, de la séparation de l’église et de l’état, de la suppression du budget des cultes ? On en parle peut-être, mais avec des atténuations, en se défendant de toute impatience, en protestant qu’on saura attendre. Et si on parle ainsi, c’est qu’on se sent évidemment devant un pays éprouvé, dégoûté des expériences radicales, demandant avant tout à vivre tranquille, à travailler en paix.

Qu’on réunisse tous ces faits, tous ces signes, le désir de la stabilité se traduisant par le désaveu d’une révision inutile, le goût du repos s’alliant au goût des libertés parlementaires, le congé donné aux ambitions césariennes, la persistance des instincts conservateurs, la défaveur du radicalisme, le souffle de modération qui court partout : est-ce qu’il n’y a pas là les élémens d’une politique répondant à une situation nouvelle, faite pour inspirer un gouvernement, pour devenir le point de ralliement de toutes les bonnes volontés ? On s’occupe déjà de savoir ce que fera la chambre nouvelle le jour où elle se réunira, — quel ministère on aura, comment se manifestera une majorité républicaine réelle, mais, on le sent, assez incohérente. Il semblerait, à entendre quel-