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à cette civilisation qu’ils haïssaient, par quoique acte de brigandage où ils jouaient et perdaient souvent leur vie. Belle Starr n’était ni la moins hardie ni la moins brave, et elle sortait à peine de l’enfance que déjà son nom et sa beauté étaient célèbres des rives de l’Arkansas à celles de la rivière Platte.

Précoce en tout, elle s’éprit, à quatorze ans, de Bob Younger, bandit renommé. Elle se fit enlever par lui et, son père refusant de consentir à son mariage, elle passa outre et l’épousa, à cheval, entourée de vingt compagnons déterminés. L’un d’eux, John Fisher, dont la tête était mise à prix, tenait la bride de sa monture pendant que, plus mort que vif, un juge arraché de sa demeure au milieu de la nuit procédait à leur union. Trois semaines plus tard Bob Younger, mis hors la loi, dut prendre la fuite et Belle Starr revenir auprès de son père. Dans l’espoir de la soustraire aux recherches de son époux fugitif, il la mit en pension dans Parker County ; mais Bob Younger ne tarda pas à reparaître, l’enleva de nouveau et gagna avec elle les frontières du Missouri ; traqué par les agens de la loi, il dut retourner dans le Kansas.

À partir de ce moment, associée à son existence, elle ne vécut plus, ainsi que lui, que de vols et de rapines. Habillée en homme, chevauchant à ses côtés, suivie de desperadoes qu’elle subjuguait par son audace et captivait par ses charmes, ils pillaient les fermes isolées, enlevant les chevaux et le bétail qu’ils allaient vendre au loin, incendiant les demeures de ceux qui les dénonçaient, déjouant, par leurs ruses d’Indiens, la poursuite des troupes ou, acculés, faisant tête et livrant bataille.

Serré de près par un détachement de soldats des États-Unis, Bob Younger dut, une fois de plus, prendre la fuite. Belle Starr ne le suivit pas, mais lui donna un successeur, choisissant dans son escorte James Reed, dont l’intrépidité était proverbiale. Avec lui elle émigra au Texas, qu’ils parcoururent en tous sens, arrêtant et pillant les diligences, poussant l’audace jusqu’à dévaliser en plein jour et aux portes d’Austin le courrier fédéral. Elle-même raconte dans ses mémoires[1]un de leurs plus hardis coups de main. « Nous arrivâmes, écrit-elle, Reed et moi, à Enfanla, où le hasard nous fit rencontrer à l’hôtel un ami de Reed, Tom Roberts. Il nous parla d’un nommé Wat Greyson qui habitait une ferme isolée. Il passait pour riche et pour avoir en dépôt les fonds destinés aux tribus indiennes. Nous décidâmes de le mettre à contribution et, la nuit venue, armés jusqu’aux dents, munis de chevaux frais, nous frappions à sa porte. Déguisée en jeune Indien Cherokee, je me

  1. New-York Herald du 13 mars.