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Rousseau, l’athéisme donnait un sens agressif aux articles rédigés par les déistes de 1789 dans un sentiment de tolérance. En parlant d’Henri Martin, M. Jules Simon a défini avec une exactitude piquante le libéral de la Restauration : « Il était ce qu’on appelait alors un libéral ; ce qui voulait dire qu’il regrettait l’empire et qu’il n’aimait pas les jésuites. » — Pour souder les deux sociétés antagonistes, il eût fallu le génie d’un Napoléon dans le cœur d’un Bourbon. L’histoire, même l’histoire de France, ne fait pas un miracle tous les quinze ans ; elle se contente de faire une révolution. Les principes mirent par terre un trône de plus. Passons au suivant.

A juger par les hommes qui se pressent sur cette toile, ce quartier du siècle est prestigieux, autant que le premier ; des éclairs de pensées au lieu d’éclairs d’épées. Dans cette élite inspirée, écrivains, poètes, artistes, la fermentation politique de 1789, militaire de 1800, s’est changée en fermentation intellectuelle ; mais si l’on regarde bien à la source de leur inspiration, c’est déjà, pour les plus hautes consciences, le désespoir au réveil du rêve, la recherche d’un autre idéal. Chacun dans sa langue, ils disent tous, avec mélancolie ou avec colère : le siècle ne nous a pas tenu les promesses de nos pères. Et comme ils ont encore toutes les ardentes illusions de la jeunesse, ils n’abdiquent pas, ils cherchent la réalisation de ; ces promesses dans le ciel de l’imagination ou dans celui des idées pures. Tandis qu’ils s’isolent sur les sommets, au-dessous d’eux, — et ceci, la toile ne nous le montre pas, — les principes continuent leur travail logique dans la masse de la nation, de façon différente aux deux étages de la maison. Le premier étage, la bourgeoisie souveraine, nous en avons la vision frappante à l’exposition des Beaux-Arts, devant les deux tableaux de Heim, la Remise de la charte par les chambres. Je ne sais pas de chefs-d’œuvre plus suggestifs que ces deux peintures ordinaires. Elles racontent notre première transformation sociale, au sortir du chaos révolutionnaire et après l’intermède militaire de l’empire : la reconstitution d’une aristocratie par la richesse. Toute réunion d’hommes, qu’elle le veuille ou non, est toujours en travail d’une aristocratie, qui puise ses élémens dans la force prépondérante à l’heure où elle se constitue. Or, sur la table rase, il n’est resté qu’une puissance indiscutable, permanente, l’argent. L’ancien ordre de choses opposait à cette puissance naturelle des contrepoids nombreux, affermis par l’hérédité : privilège de la naissance, prééminence de l’état militaire, du sacerdoce, des charges de cour et de magistrature. Après la disparition de ces contrepoids, après le grand effort de la révolution pour établir l’égalité théorique, l’argent est monté d’une poussée irrésistible au