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des résultats obtenus, de l’excellence des institutions, à se demander si l’on n’a pas fait fausse route en voyant le culte de la femme, les respects à elle prodigués, aboutir à des conséquences aussi inattendues.

Inattendues, elles le sont, et si les hommes d’état, les législateurs, les penseurs et les philanthropes dont s’honorent les États-Unis n’ont jamais eu la prétention de supprimer le vice, de faire régner la vertu sur la terre, à tout le moins ils ont voulu, de bonne foi, asseoir sur des bases solides une organisation sociale supérieure à celle de la vieille Europe, profiter des enseignemens du passé, et, pendant plus d’un demi-siècle les faits ont justifié leurs espérances. Le désappointement n’en est que plus amer de voir les mêmes instincts aboutir aux mêmes effets, d’entendre les pessimistes affirmer, une fois de plus, que les vertus sont d’institution humaine, mais que les passions sont d’institution divine et que, contre elles, l’organisation sociale actuelle est sans force. On attendait plus et mieux de la constitution que l’on s’était donnée ; on voyait en elle l’universelle panacée, la conciliation des droits et des devoirs de tous ; en ce qui concerne la femme : sa réhabilitation et son affranchissement ; l’on ne saurait nier, sans injustice, que la grande république n’ait tendu de tous ses efforts à ce résultat et qu’un moment elle n’ait paru l’atteindre. S’il lui échappe, la faute n’en est pas uniquement à elle, et déjà, sans se lasser, revenant en arrière, elle cherche à s’ouvrir, vers le but qu’elle poursuit, des voies nouvelles.


IV

Il n’est que temps, car le mal gagne. Impuissantes à y remédier. les lois relatives au mariage et au divorce n’ont fait que l’aggraver par leur multiplicité même et leur incohérence. En les ramenant à un type unique, en les émondant de prescriptions suggérées par une sollicitude plus anxieuse qu’éclairée, on peut espérer combattre, non supprimer, les abus qu’elles favorisent ; mais ce qu’une réforme de cette nature ne saurait à elle seule enrayer, c’est la diffusion des idées fausses, le désordre naissant des mœurs, tenu en échec pendant longtemps par la vie simple et saine des premiers colons, par leur éparpillement sur un continent peu peuplé, par l’isolement relatif dans lequel ils vivaient, par l’aisance générale, par la richesse et la pauvreté également inconnues. L’évolution brusque qui, activant l’immigration étrangère, a recruté en outre dans les rangs d’une population exclusivement agricole une armée ouvrière, qui, sur tous les points du territoire, a fait surgir de vastes usines et de grands centres manufacturiers, qui a substitué