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part, le Romantisme, en s’inspirant de l’auteur des Confessions, — dont les six ou huit derniers livres sont d’un malade ou d’un fou, — n’aurait-il pas du même coup transporté dans ses œuvres ce germe secret de folie et de mort ? Je le crains quelquefois pour tous deux ; et qu’il y a quelque cent ans un œil plus perspicace n’eût pu déjà découvrir dans cette exaspération de la sensibilité comme dans cette exaltation du moi leurs conséquences futures. Les aliénistes s’accordent du moins aujourd’hui pour placer à l’origine des affections mentales, de quelque nom particulier qu’on les nomme, des troubles ou des aberrations définies de la sensibilité… Je ne veux pas d’ailleurs insister sur ce genre d’argumens, mais il fallait bien l’indiquer. Ce lyrisme, puisque ainsi l’avons-nous appelé, dont le Romantisme a fait le principe même de son esthétique, auquel j’ai tâché de montrer que tous ses autres traits ne s’accordaient pas seulement, mais se coordonnaient, si l’on veut achever de comprendre pourquoi son triomphe rapide a été suivi d’une mort presque plus rapide, c’est qu’il avait lui-même en naissant apporté ce germe de mort prochaine. Si le Classicisme était mort d’une espèce d’incapacité de vivre, le Romantisme est mort, lui, d’une espèce de nécessité de mourir. Peut-être pensera-t-on que ce n’est pas tout à fait la même chose, ou plutôt que c’est exactement le contraire, la différence étant la même qu’entre expirer de vieillesse, après avoir accompli le nombre de ses jours, ou dans la force de l’âge, et sous les coups d’un mal mystérieux.


IV

Par le bruit qu’il a fait dans le monde, par les œuvres qu’il a laissées derrière lui, par le talent enfin ou le génie de ceux qui en de meurent les représentans dans l’histoire de la littérature, le Romantisme est le grand fait de l’histoire littéraire du XIXe siècle, autour duquel on pourrait faire graviter tous les autres, comme Sainte-Beuve, en son Port-Royal, a fait tourner tout le XVIIe siècle autour du jansénisme ; ou comme encore, avec un peu d’adresse, on pourrait rapporter toute l’histoire du XVIIIe siècle à celle des encyclopédistes et de l’Encyclopédie. Ce n’est pas à dire toutefois qu’en dehors et indépendamment de la résistance que lui opposaient les derniers des classiques, le Romantisme n’ait pas rencontré d’autres adversaires, ni, comme il arrive parfois dans l’histoire, que tandis qu’il triomphait bruyamment, une autre esthétique, une autre doctrine, un autre idéal d’art ne se préparât, dès ce temps-là même, à recueillir sa succession prochaine. « Le Romantisme, dit à ce propos M. Pellissier, n’avait pas compté seulement pour