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état limitrophe. Dans les journaux américains de janvier 1889 paraissait une annonce ainsi courue : « A céder, à Jeffersonville, Indiana, une agence de mariages bien achalandée. La situation, agréable et facile, comportant d’agréables relations, conviendrait à un homme jeune et actif. S’adresser au vendeur, Wm kratz, agent matrimonial, lequel justifiera des bénéfices et donnera communication des livres de comptabilité. »

Jeffersonville est en effet le Greatna Green de cette section de l’Union, et William Kratz y joue le rôle du légendaire forgeron. Chaque jeudi, par tous les temps en automne et en hiver, tous les jours au printemps et en été, Wm Kratz se tient au débarcadère des bateaux à vapeur de Louisville. D’un coup d’œil, il a tôt fait de dévisager les couples et de leur glisser discrètement sa carte ainsi conçue : « Wm kratz, agent matrimonial, procure aux personnes désireuses de contracter mariage tous les renseignemens et indications nécessaires. » « Rien de plus facile, dit-il, que de reconnaître un couple d’amoureux. Ils ont tous une façon à eux de descendre l’escalier du débarcadère en échangeant de tendres regards. Ils ont en outre l’air empêtré, en quête de renseignemens qu’ils n’osent demander, mais écoutent avidement quand je les leur donne. Il m’est arrivé parfois, mais rarement, de me tromper et d’accoster des couples qui pensaient à toute autre chose qu’au mariage, mais je n’ai jamais eu à me plaindre de leurs procédés. Les jeunes gens riaient et les jeunes personnes rougissaient. J’en puis citer qui sont revenus pour le bon motif et sont devenus mes clients[1]. »

M. Kratz estime qu’un enlèvement dans le Kentucky, suivi du mariage à Jeffersonville, revient à neuf dollars vingt cents (46 fr.), au plus juste prix : 1 franc pour la traversée, 10 francs pour le permis (17 fr. 50 quand on le veut doré sur tranche avec attestation), 25 francs pour le magistrat, 10 francs pour l’agent. « À ce taux les choses sont convenablement faites, ajoute M. Kratz ; » mais ces prix comportent des réductions. On peut obtenir du magistrat un rabais et l’agent se contente de 5 francs, si on lui promet de l’héberger à sa prochaine visite dans le Kentucky ; c’est ce que M. Kratz donne à entendre en parlant « d’agréables relations. » Pourquoi le jeudi est-il le meilleur jour de la semaine ? C’est ce qu’il ne dit pas, mais il l’affirme et on peut l’en croire sur parole. « Tous les jeudis j’ai fort à faire, dit-il, et l’on ne sait pas tout ce que mon agence rapporte à Jeffersonville ; c’est une vraie bénédiction pour les bateaux, les hôteliers, magistrats et restaurateurs. » M. Kratz est parfaitement convaincu qu’il est un bienfaiteur de

  1. Louisville-Journal du 19 janvier.