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mélange de tous les argots. Relisez plutôt Han d’Islande, Bug-Jargal, Notre-Dame de Paris, Claude Gueux, les Misérables, qu’il me semble en vérité que l’on oublie trop, lorsque l’on parle d’Hugo ; comme s’il n’était l’auteur que des Rayons et Ombres, que des Contemplations, que de la Légende des siècles ! Et je sais bien ce que l’on peut dire : que Ronsard et ses amis n’ont pas craint d’employer des mots que Boileau, cent ans plus tard, eût renvoyés au langage des halles ; que leur vocabulaire, plus étendu, plus riche, est moins noble et plus familier que celui de Corneille et de Racine, — ce qui pourrait d’ailleurs faire une question ; — enfin que, dans leurs plus beaux vers, le « grotesque » y coudoie volontiers le « sublime… » Mais c’est tout simplement qu’ils vivaient dans un temps où ni la cour, ni la ville, ni la province, en y tendant pourtant, ne savaient ce que c’est que la politesse des mœurs, la décence du langage, ou la tenue du style. Est-ce que l’auteur de l’Heptaméron, qui est aussi celui du Miroir de l’âme pécheresse, ne croyait pas, en écrivant ses contes, faire œuvre de morale et d’édification ?

En fait, et rien ne serait plus aisé que de le démontrer, l’héritier de Ronsard, c’est Malherbe, et l’héritier de Malherbe, c’est Boileau. « Boileau, comme le dit quelque part M. Pellissier, — qui s’y connaît, ayant publié jadis une thèse sur Du Bartas, et une édition de l’Art poétique de Vauquelin de La Fresnaye, — Boileau vilipende Ronsard en lui empruntant toute sa doctrine, et cet Art poétique, où il raille de si haut le chef de la Pléiade et son œuvre, est un monument élevé en leur honneur. » Oui, si les romantiques voulaient absolument se trouver des ancêtres dans l’histoire, c’est plus tard, c’est plus bas, c’est tout au début du XVIIe siècle qu’ils eussent dû se les chercher. Théophile de Viau, Saint-Amant, que Philarète Chasles et Gautier, dans ses Grotesques, ont essayé de réhabiliter ; Scarron, dont Hugo lui-même n’a jamais parlé sans quelque tendresse, dont il a fait un « mage » dans ses Contemplations :


Et voici les prêtres du rire ;
Scarron, noué dans les douleurs…


Scudéri, Rotrou, Corneille encore jeune, — le Corneille de Mélite et de Clitandre, celui du Cid aussi, — tels sont, en fait de langue, les vrais modèles du Romantisme. Et la ressemblance ne s’achève-t-elle pas si nous ajoutons que de leur temps, comme du nôtre contre nos romantiques, ce sont, contre eux, des Naturalistes qui ont dû lutter ?