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actuellement peuplé de près de 1,500 millions d’êtres humains, la population suit une marche ascendante de 7 1/2 pour 1,000 en moyenne, ce qui, dans dix siècles d’ici, porterait le chiffre de la population à 2,025 milliards, soit 200 habitans par hectare !

Que des calculs aussi compliqués et à aussi lointaine échéance préoccupent peu des hommes de nos jours et des spéculateurs avant tout soucieux de résultats immédiats, cela ne saurait faire doute. Ce qui les touche et ce qui les frappe, c’est l’inéluctable nécessité de faire face à des besoins plus proches, c’est ce fait que l’Europe ne suffit pas à sa consommation avec ses 475 millions d’hectolitres de blé, soit 1 hectolitre 45 par an et par tête ; que la France, qui y tient le premier rang avec une production moyenne de 100 millions d’hectolitres à l’année, est obligée de recourir à l’importation étrangère ; c’est que le reste du monde ne fournit encore qu’un appoint de 350 millions et que ces 825 millions d’hectolitres au total sont insuffisans. L’Exposition universelle met en lumière un autre fait incontestable : c’est que les états d’Amérique sont appelés à figurer en première ligne dans la production des céréales et de la viande.

De là l’intérêt particulier qu’ils provoquent, l’attention soutenue dont leur évolution est l’objet, tant de la part des économistes que de tous ceux que préoccupe l’avenir de l’humanité. De là aussi les encouragemens qu’on leur prodigue, leur croissance rapide, leurs développemens inattendus. Nulle hésitation dans leur marche en avant, rien qui trahisse l’effort, incertain du résultat. Si, devant les somptueux dehors de quelques-uns de ces palais d’Amérique, on s’arrête, ébloui de tant de faste, se demandant si l’on foule le seuil de la demeure d’un parvenu, subitement enrichi, un coup d’œil jeté dans l’intérieur rassure et convainc. Ces amoncellemens de matières premières et de produits alimentaires ne sont ni une fantasmagorie ni un rêve. Le capital social, la richesse vraie de l’humanité, s’accroissent chaque année. Une lueur apparaît dans l’ouest, et cette lueur n’est pas un mirage. Le Nouveau-Monde se révèle enfin, et sa merveilleuse fécondité dissipe de légitimes appréhensions. Que cette prospérité soudaine se heurte, elle aussi, à des crises possibles, que des temps d’arrêt se produisent, ralentissant un mouvement trop rapide, cela n’est ni pour mettre en question le présent ni pour faire douter de l’avenir. Le monde marche, et l’Amérique prend les devans ; tout seconde son élan, auquel sourit la fortune, amie de la jeunesse et de l’audace.


C. DE VARIGNY.