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l’œil d’un géomètre épris de la ligne droite et des proportions mathématiques. Vue du Cerro, la ville a grand air, avec sa rade largement ouverte, incessamment sillonnée de navires, ses quais espacés, son fleuve gigantesque, ses rues droites qui fuient il l’horizon, jalons d’une cité immense à laquelle une ambitieuse prévoyance a ménagé l’espace. De ces seize cents quadres, six cents seulement sont construits et habités, mille attendent maisons et habitans. Ils viendront peupler ces larges avenues, accroître encore le mouvement et l’animation de la grande ville, dans laquelle se croisent de nombreux tramways, à laquelle aboutissent plusieurs voies ferrées la reliant à l’intérieur.

Pays de grand élevage, l’Uruguay tend de plus en plus à devenir agricole et manufacturier. À côté de ses extraits de viande et de ses salaisons, il nous expose ses blés, pour lesquels il a obtenu une haute récompense en 1878, ses maïs, puis le coton, le lin, le tabac, les arachides, la laine, les peaux. Dans ses saladeros, on abat chaque année un nombre croissant d’animaux, et l’Uruguay se targue avec orgueil de l’emporter sur la République Argentine, sa puissante rivale. En 1888, en effet, on a abattu et salé, dans l’Uruguay, 773,449 têtes de bétail, contre 467,450 dans la République Argentine.

Riche en minerais, l’Uruguay exploite avec profit les mines d’or de Cunapiru et de Corrales, les mines de cuivre et de plomb de Maldonado, les carrières de granit de La Paz, l’agate de Salto. Fier de sa prospérité, satisfait de ses libres institutions, en paix avec ses voisins, il voit grossir le chiffre de sa population, s’accroître ses richesses et grandir son commerce. En moins de trente années, les unes et les autres ont plus que triplé, et ce passé d’hier justifie sa loi dans l’avenir.

C’est dans un palais dont la construction a coûté près de 1,200,000 francs, qu’a édifié M. Ballu, et à l’ornementation duquel il a convié nos meilleurs artistes, que la République Argentine reçoit ses nombreux visiteurs. Sur ce monument grandiose, l’ingénieuse et heureuse fantaisie de l’architecte a semé à profusion des cabochons qu’éclaire le soir la lumière électrique, gigantesques émeraudes et rubis qui courent au long de la façade et donnent à l’édifice l’aspect féerique d’un palais ruisselant de pierres précieuses. Dans les terres cuites, il a enchâssé faïences et mosaïques, sculptures décoratives couronnant les quatre pylônes des angles, ornant les pendentifs de la grande coupole intérieure. Le succès est complet, et l’éloge sans réserve. Transporté, comme il doit l’être, à Buenos-Ayres, ce palais y deviendra l’un des plus beaux monumens de la grande cité.

Capitale de la République Argentine, reine du bassin de la Plata,