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GEORGES BIZET


I


« Ah ! maître, si vous aviez été ici !.. » Nous ne saurions songer à Georges Bizet sans nous rappeler ce regret des sœurs de Lazare. S’il avait été ici, s’il y était encore, le maître de l’Arlésienne et de Carmen, la musique d’abord compterait trois ou quatre chefs-d’œuvre de plus. Et puis Bizet eût été un maître au vrai sens du mot ; il eût fait école et montré la route où nous devions marcher et que nous cherchons encore. Il nous aurait prouvé que cette route ne sort pas de France, qu’elle peut longer les frontières allemandes, mais ne doit jamais les franchir ; qu’on fait bien une excursion, un séjour même à l’étranger, mais qu’on finit toujours par rentrer chez soi, et que l’artiste, s’il doit être de son temps, doit être aussi de son pays.

Bizet a été de l’un et de l’autre.

Il a été de son temps, et c’est pourquoi nous l’aimons de cette tendresse particulière, presque fraternelle, que nous inspirent les contemporains, interprètes de nos pensées et de nos passions présentes. Les plus grands parmi les morts d’autrefois nous émeuvent moins profondément, moins immédiatement que ce mort d’hier. Pourquoi ? Hélas ! il est malaisé de le dire, malaisé de parler musique et musiciens, de fixer précisément parmi ses pairs et au-dessous de ses maîtres la place d’un compositeur, surtout d’un compositeur aussi libre que Bizet de tout dogmatisme et de tout système. On a moins de peine à définir la personnalité d’un écrivain, romancier, poète ou philosophe ; plus de ressources pour caractériser l’originalité de ses idées, montrer l’accord ou la