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manquer à la parole donnée. Il se résolut enfin à déclarer aux parens de la jeune fille « qu’il avait été obligé de dire deux cents pour ne pas gâter le texte d’un verset magnifique, mais qu’il ne voulait entendre parler de rien à moins de quatre cents florins. » Son fils rapporte cette petite escroquerie sans aucune réflexion, et comme la chose du monde la plus naturelle. Elle réussit du reste à merveille. Le père trouva la raison plausible, paya les quatre cents florins et y joignit des cadeaux pour le futur : un bonnet de velours noir garni de dentelle d’or, une Bible reliée en velours vert, garnie de fermoirs d’argent, et divers petits objets. La date du mariage fut fixée, et il fut convenu que Salomon soutiendrait ce jour-là une grande controverse sur le Talmud, afin de montrer à ses beaux-parens qu’on ne les avait pas volés et qu’il valait bien quatre cents florins.

Le jour de la cérémonie approchait. Salomon s’était préparé à la dispute et sa mère était occupée à faire des gâteaux et des conserves pour le festin de noces, lorsqu’arriva une triste nouvelle : la fiancée avait été enlevée par la petite vérole. Les sentimens de la famille, en apprenant cette catastrophe, sont décrits par Salomon avec une candeur charmante. Josué fut enchanté ; les quatre cents florins lui restaient, et il allait pouvoir revendre son fils. Le fiancé pensait en lui-même : « J’ai le bonnet, et la Bible à fermoirs d’argent ; je ne manquerai pas longtemps de fiancée et ma dispute me servira une autre fois. « Il n’avait donc pas de chagrin. Sa mère, seule, demeurait inconsolable. Comme beaucoup de femmes, elle ne voyait que le petit côté des choses, et son cœur saignait à la pensée que les gâteaux et les conserves ne pourraient jamais se garder jusqu’à ce qu’on eût trouvé une autre femme pour son fils. Les gâteaux furent effectivement perdus. Salomon les déroba et les mangea, pour avoir eu au moins les miettes de son festin de noces.

Après ces choses, une cabaretière veuve, nommée Mme Rissia, se mit dans la tête d’avoir le petit Maimon pour sa fille Sarah. En vain sa famille lui représenta que c’était de l’outrecuidance de sa part ; qu’elle n’était pas en situation, à aucun égard, d’acheter un garçon dont « la réputation avait déjà excité l’attention des hommes les plus riches et les plus marquans ; » Mme Rissia jura qu’elle aurait le petit homme et se mit en campagne. Il serait trop long de raconter comment elle tendit un guet-apens à Josué, qui fut contraint de lui vendre son fils quatre cents florins ; comment Josué, ayant touché les quatre cents florins, revendit secrètement Salomon à un riche fermier, moyennant huit cents florins ; comment Mme Rissia, ayant éventé la fraude, mit une saisie-arrêt sur le cadavre de Mme Josué, morte sur ces entrefaites, et déclara qu’elle