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prémisses pour atteindre le même but, a édicté des lois diverses. Partout on s’est inspiré des mêmes idées religieuses et morales et cela pour aboutir à un étonnant désordre, aux complications les plus absurdes et les plus grotesques, à cette question que bon nombre de conjoints peuvent se poser et que leur pose le New-York Herald : « Etes-vous légalement mariés, épouse ou maîtresse, époux ou amant ? Nos lois sur le mariage et le divorce ont-elles répondu à ce que nous étions en droit d’en attendre, ou l’heure est-elle venue de les déclarer en faillite[1] ? »

Ce désordre s’explique et ces conséquences étaient à prévoir. Il ne suffisait pas, en effet, de poursuivre séparément un résultat identique ; il importait de tenir compte d’élémens divers qui, agissant, à leur insu, sur l’esprit des législateurs, leur ont fait adopter, suivant le milieu dans lequel ils se trouvaient et l’atmosphère morale qu’ils respiraient et dont ils s’inspiraient, des prescriptions différentes. Ils légiféraient, non pour une nation, mais pour une section particulière, pour un état isolé, souvent alors peu peuplé, et les lois qu’ils édictaient, limitées à cet état, tenaient compte avant tout des mœurs et des tendances locales, des traditions et des idées de la population, ici citadine, là campagnarde, ici exclusivement puritaine, là mélangée par l’immigration de catholiques et de protestans. Puis, la prospérité de l’état dépendant de l’accroissement de la population, chacun d’eux était intéressé à favoriser cet accroissement, à attirer chez lui l’émigrant ou l’Américain nomade, partant à simplifier le plus possible, avec sa législation, l’accomplissement des actes sociaux, à rendre le mariage facile, facile aussi le divorce, à éviter ces formalités administratives compliquées dont s’accommodait mal une race indépendante, renforcée d’aventuriers plus indépendans encore.

D’une part, simplification excessive des conditions requises pour contracter mariage ; de l’autre, causes de divorce spéciales à chaque état ; partout, au début surtout, grandes facilités pour obtenir, avec la naturalisation, les droits civils et politiques largement concédés. Et, en ceci, la logique était d’accord avec l’intérêt. Le point de départ de la colonisation avait été la protestation de la conscience opprimée contre l’autocratie religieuse, de la liberté contre le despotisme, de l’indépendance civile contre la réglementation exagérée de la vieille Europe, et la jeune Amérique, attirant à elle les mécontens, les impatiens, recrutant des partisans chez ses ennemis, sentait grandir ses forces en voyant grossir le nombre de ses citoyens. D’instinct, ces nouveaux-venus affluaient là où les lois entravaient le moins leur liberté ; citoyens, ils étaient électeurs et

  1. Voyez le New-York Herald du 2 janvier.