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de Gibraltar, l’Angleterre, seule suivait avec la vigilance de sa diplomatie, avec l’activité d’une politique intéressée, les affaires du Maroc, et c’est même pour ménager les susceptibilités britanniques que déjà, il y a trente ans, l’Espagne s’arrêtait dans sa campagne victorieuse de 1860. Maintenant, ce sont toutes les puissances qui s’en mêlent. L’Allemagne, l’Italie même, envoient des missions et des présens au sultan, s’efforcent de nouer des relations avec le Maroc, de prendre position à cette extrémité de la Méditerranée. De sorte que l’Espagne, dans ses démêlés, est exposée à rencontrer devant elle, non-seulement le fanatisme musulman, avec lequel il n’est jamais commode de traiter, mais encore des influences européennes qui peuvent devenir gênantes. C’est là justement ce qui peut compliquer tous les incidens. Résolue à rester étrangère aux luttes qui peuvent s’engager en Europe, à se retrancher dans la neutralité, elle s’est accoutumée depuis longtemps à considérer ce coin de terre africaine comme un champ naturellement ouvert à son action, c’est une tradition de sa politique. Elle n’a rien fait jusqu’ici pour s’étendre ; elle n’a pas non plus renoncé à ses prétentions et elle ne peut évidemment voir sans quelque inquiétude d’autres influences s’établir au Maroc, se préparer peut-être à contrarier ses vues ou à s’interposer dans ses conflits, en lui fermant la seule issue extérieure qu’elle puisse avoir. Et c’est ainsi que, sous un simple incident tout fortuit, peut se cacher une assez grosse question de politique internationale.

Que fera maintenant l’Espagne ? Rien n’indique assurément que le cabinet de Madrid soit disposé à prolonger la querelle et à vider l’incident par la guerre au risque de se jeter dans une aventure. Si le ministre des affaires étrangères, M. de la Vega y Armijo, a pris la chose un peu fièrement, le président du conseil, M. Sagasta, a tout l’air d’être d’une humeur plus placide. Pour le moment, le cabinet de la régente s’est borné à demander à l’empereur du Maroc la satisfaction qui lui est due, et il paraît bien en même temps avoir voulu appuyer ses réclamations par quelques démonstrations, par l’envoi de quelques navires ou par quelques mouvemens de troupes vers l’Andalousie. C’est là tout. Le reste dépend de la réponse qui a été faite aux réclamations espagnoles, et il est assez vraisemblable que, soit de lui-même, soit sous quelque influence modératrice, le sultan ne s’est refusé à rien ; si le sultan a donné toute satisfaction à l’Espagne, comme on peut le présumer, c’est un incident fini jusqu’à la prochaine occasion ; s’il tergiversait, tout pourrait assurément se compliquer, et on pourrait bien voir un de ces jours une question du Maroc se mêler à toutes les questions qui sont déjà l’embarras et le souci de l’Europe.


CH. DE MAZADE.