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pour des motifs et des griefs qui ne différaient guère de ceux qu’elle peut invoquer aujourd’hui, elle engageait une campagne aussi dangereuse que brillante. Elle débarquait à Ceuta une armée de 40,000 hommes sous les ordres du général O’Donnell, pour avoir raison d’un ennemi dont elle ne connaissait pas la force, et ce n’était pas une entreprise facile. Cette armée espagnole, conduite par des chefs intrépides, les Ros de Olano, les Zabalo, les Prim, les Echagüe, ne mettait pas moins de deux mois pour aller de Ceuta à Tetouan. Elle avait livré vingt combats, elle avait eu à essuyer les rigueurs d’un hiver exceptionnel, les tempêtes qui bouleversaient ses camps, les épidémies qui décimaient ses bataillons. Ce fut une campagne meurtrière, et lorsqu’après avoir pris Tetouan, après avoir gagné la dernière victoire de Gualdras, l’armée d’O’Donnell, par des raisons de diplomatie et de prudence, s’arrêtait sur le chemin de Tanger pour signer la paix, elle sortait de cette campagne avec un traité qui ne lui assurait que des avantages insignifians et, somme toute, plus de gloire que de profil. L’Espagne a gardé le souvenir de cette armée du Maroc et de cette campagne de 1860 ; elle n’a presque rien gardé de plus, pas même des garanties pour la sûreté et la défense des petits postes de Ceuta, de Melilla, d’Alhucemas qu’elle a encore sur cette côte africaine et dont elle fait des prisons. Aujourd’hui, après trente ans, elle est comme si elle n’avait rien fait ; elle se retrouve en face de cette même question du Maroc pour ces récens incidens qui se sont produits, pour ces insultes qui, en offensant sa fierté, sont venues réveiller ses ardeurs belliqueuses et des velléités de protectorat ou d’établissement africain qu’elle n’a jamais pu pousser jusqu’au bout.

Par lui-même sans doute l’incident de la barque de Malaga et de l’équipage traîné en captivité par les Maures du Riff ne serait pas de nature à créer des complications démesurées ; c’est une affaire que la diplomatie pourrait régler aisément. Ce qui en fait sa gravité, c’est que cet incident semblerait se lier à une certaine agitation qui se manifesterait dans l’intérieur du Maroc, à une certaine recrudescence du fanatisme musulman toujours prêt aux irruptions contre tout ce qui est chrétien. Déjà on en est à signaler d’autres violences commises notamment à Tetouan, des prédications ardentes des santons, des excitations à la guerre sainte contre les Espagnols, et le sultan lui-même est souvent impuissant à contenir les passions des tribus farouches de la montagne et de la cote. Ce serait pour ainsi dire un danger tout intérieur, local ; mais ce qui pourrait surtout donner une importance particulière et nouvelle à cet incident, c’est que depuis quelque temps le Maroc semble décidément être devenu l’objet de l’attention de quelques puissances jalouses de paraître partout, d’étendre leur action à toutes les parties de la Méditerranée. Jusqu’ici la grande maîtresse ombrageuse