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nomination ressemblait à une concession, à un gage, et aussitôt s’est élevée une question bien autrement significative, celle du couronnement éventuel de l’empereur François-Joseph comme roi de Bohême.

C’est la concession qui, depuis quelques jours, fait du bruit dans l’empire. L’empereur ira-t-il ceindre la couronne de saint Wenceslas à Prague comme il a ceint la couronne de saint Etienne à Buda-Pesth ? Cette idée a déjà soulevé les protestations passionnées de tous les Allemands ; elle semble n’avoir excité qu’une certaine jalousie chez les Hongrois, qui ne peuvent se résigner à trouver bon pour les autres ce qu’ils ont trouvé juste pour eux. En Bohême naturellement elle serait accueillie avec enthousiasme, à la condition toutefois que ce ne fût pas une simple illusion, que la Bohême retrouvât, avec son roi couronné à Prague, les droits d’un royaume autonome. Ce serait dans tous les cas un événement assez sérieux dans l’intérieur de l’empire, et ce serait aussi une question de savoir dans quelle mesure cette extension de l’idée fédérative servirait la politique de l’Autriche en Orient.

Tout ne se passe pas sans contre-temps et ne se réduit pas à des crises intimes de pouvoir ou à des agitations de parti au-delà des Pyrénées. Naguère encore, au moment où la cour achevait paisiblement sa saison d’été et où la reine était tout entière à ses excursions ou à ses réceptions à l’autre extrémité de l’Espagne, sur les côtes d’Afrique ont éclaté tout à coup des incidens qui remuent depuis quelques jours la fibre castillane. Dans la partie des eaux méditerranéennes qui est souvent infestée par les pirates du Riff, une barque venant de Malaga a été attaquée et pillée ; des sujets espagnols ont été pris et retenus en captivité par une tribu marocaine, par les Maures du Riff, qui depuis quelque temps, à ce qu’il semble, redoublent de violences sur cette côte inhospitalière. Le nom et le drapeau de l’Espagne ont été insultés sans trouver protection auprès du sultan qui, à la vérité, n’est pas toujours maître de ses tribus indisciplinées et sauvages. Aussitôt une émotion des plus vives s’est manifestée dans la péninsule, et il s’en est fallu de peu qu’il n’y eût aujourd’hui une question du Maroc à Madrid, où l’on ne parlait de rien moins que de recourir à la force, de mettre une armée en campagne si l’on n’obtenait pas une réparation éclatante. Tout pouvait dépendre des dispositions plus ou moins conciliantes du sultan et de l’habileté ou de l’autorité du nouveau représentant espagnol récemment arrivé à Tanger. Assurément on n’en est pas arrivé aux dernières extrémités ; l’affaire n’est point cependant sans quelque gravité.

Ce n’est pas la première fois que l’Espagne tourne ses regards vers le Maroc et songe à faire sentir sa force, sinon à l’établir sur cette côte entre la Méditerranée et les profondeurs de cet empire mystérieux qui reste un des foyers du fanatisme musulman. Il y a trente ans déjà,