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Mais j’ai promis de m’en tenir aujourd’hui au possible, au présent, au certain. En quittant « la Paix sociale,  » il est équitable de reconnaître que ce beau nom n’est pas tout à fait usurpé. Sans doute, pour ne pas être dupe, il convient de biffer 25 pour 100, 30 pour 100, si l’on veut, des triomphes affichés sur ces murs ; il faut ouvrir très large le compte du trompe-l’œil, de la manie des statisticiens et, qui sait ? de la réclame. Où ne se glisse-t-elle pas ? Il restera encore de quoi faire dater notre Exposition, sur ce point comme sur tant d’autres : des succès réels, des efforts méritoires, un éveil récent et sérieux de la conscience du devoir social dans l’élite du patronat. Ces hommes intelligens le comprennent, pour sauvegarder leurs positions menacées, il en faut céder quelque chose. Hier encore, on s’assemblait ici en congrès pour la fixation légale du jour de repos hebdomadaire. Le branle est donné partout. L’Église, à son tour, incline sa puissante force morale vers le berceau populaire d’où elle est sortie. On l’en adjurait à cette place, il y a deux ans ; depuis lors, elle s’est prononcée prudemment, à diverses reprises ; témoin le bref du cardinal-secrétaire de la Propagande à M. Decurtins, l’éloquent apôtre de la réforme sociale dans les cantons suisses, l’homme qui fait le mieux comprendre le mot de Le Play : « L’intelligence de la science sociale procède du cœur encore plus que de l’esprit ; » témoin le cardinal Manning, dont l’ascendant mettait fin, l’autre semaine, à la plus formidable des grèves. Personne n’échappe au mouvement ; je n’en veux d’autre preuve que le langage des hommes les plus réservés, responsables de grands intérêts et attachés, sur certains points, aux doctrines de l’ancienne économie politique. Qu’on juge de la différence entre les formules mécaniques, matérialistes, qui étaient naguère tout son vocabulaire, et la belle page que je lis en tête du Rapport de la section lyonnaise d’économie sociale. Cette page vient ici comme la conclusion naturelle de mes courtes observations ; je cède la parole à son auteur, M. Aynard : je ne me flatterais certes pas de dire plus vrai ni de mieux dire :

« L’erreur serait de croire qu’en économie sociale on peut se contenter de la simple justice, c’est-à-dire de l’observation stricte de lois économiques, qu’on croit inexorables. Les lois économiques sont certaines et doivent être obéies ; elles règlent par la liberté et soumettent à une concurrence nécessaire les mouvemens du travail humain. Mais ces lois ne sont que le résultat de l’expérience et de l’observation, qui les découvrent comme le meilleur moyen de développer et de féconder le travail ; elles ne sont point inviolables à la manière des grandes lois physiques. Si elles sont fondées sur la nature, on peut leur appliquer le mot de Bacon sur