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Sartines, il était trop homme d’esprit pour tenir longtemps rigueur au prisonnier de ses extravagances. « Je fus transféré dans le donjon de Vincennes la nuit du 15 au 16 septembre 1764. Environ neuf heures après, feu M. de Guyonnet, lieutenant de roy, vint me voir en compagnie du major et des trois porte-clés, et il me dit : « M. de Sartines m’a ordonné de venir vous dire, de sa part, que, pourvu que vous fussiez un peu de temps tranquille, qu’il vous accorderait votre liberté. Vous lui avez écrit une lettre extrêmement forte, il faut lui faire des excuses. » Danry ajoute : « Au surplus, M. de Sartines me traitait bien. « Il lui accordait pour deux heures chaque jour « la promenade extraordinaire des fossés. » — « Quand un lieutenant de police, dit Danry, accordait cette promenade à un prisonnier, c’était pour lui rendre promptement sa liberté. » Le 23 novembre 1765, Danry se promenait ainsi, en compagnie d’une sentinelle, en dehors du donjon de Vincennes. Le brouillard était intense. Il se retourna tout à coup vers son gardien : « Comment trouvez-vous ce temps-ci ? — Fort mauvais. — Et moi je le trouve fort bon pour m’échapper. « Il n’avait pas fait cinq pas qu’il était hors de vue. « Je me suis échappé du donjon de Vincennes, écrit Danry, sans malice, un bœuf en aurait fait autant que moi. » Mais, dans le discours prononcé plus tard à l’assemblée nationale, la scène a changé de caractère. « Regardez, s’écrie-t-il, l’infortuné Latude, dans sa troisième évasion de la tour de Vincennes, poursuivi par plus de vingt soldats, s’arrêter et désarmer à leur vue la sentinelle qui l’avait mis en joue ! »


IV

Lorsque Latude fut en liberté, il se trouva sans ressource, comme dans sa première évasion. « Je m’étais échappé avec des pantoufles à mes pieds et pas un sou dans ma poche ; j’étais dénué de tout. » Ses jeunes amies, les demoiselles Lebrun, lui donnèrent asile.

Il retrouva chez elles une partie de ses papiers, dont il envoya « un panier » au maréchal de Noailles ; il le priait de lui continuer l’honneur de sa protection et lui iaisail part de « quatre grandes découvertes qu’il venait de faire : la première, la véritable cause du flux et du reflux de l’Océan ; la deuxième, la cause des montagnes, sans lesquelles le globe de la terre serait immobilisé et en peu de temps vitrifié ; la troisième, la cause qui fait tourner sans cesse le même globe ; la quatrième, la cause de la salure des eaux de toutes les mers. » Il écrivit également au duc de Choiseul, ministre de la guerre, afin d’en réclamer la récompense de son projet militaire ;