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vous verrez un jour comme ce hibou du parc de Versailles, tous les oiseaux lui jetaient de l’eau pour l’étouffer, pour le noyer : si le roy venait à mourir, on ne passerait pas deux heures sans mettre cinq ou six personnes à vos trousses, vous iriez vous-même à la Bastille. » L’accusé se transforme peu à peu en accusateur. Il écrit à Sartines : « Je ne suis ni un chien ni un scélérat, mais un homme comme vous ! » Et le lieutenant de police qui le prend en pitié écrit au-dessus d’une de ces lettres envoyées au ministre de Paris : « Lorsque Danry écrit ainsi, ce n’est pas qu’il soit fol, mais désespéré de sa prison. » Le magistrat conseille au prisonnier « de ne pas mettre d’aigreur dans ses lettres, cela ne peut que lui nuire. » Berlin corrige de sa propre main les suppliques que Danry adresse à la marquise de Pompadour, nous lisons en marge de l’une d’elles : « Je croirais lui porter préjudice à luy-même et à son véritable intérêt si je remettais à Mme la marquise de Pompadour une lettre où il ose lui reprocher d’avoir abusé de sa bonne foi et de sa confiance. » La lettre corrigée, le lieutenant de police la porta lui-même à Versailles.

Loin que les années de captivité le rendent plus humble, abaissent son orgueil, le prisonnier se redresse de plus en plus ; de jour en jour son audace grandit, il ne craint pas de parler aux lieutenans de police eux-mêmes, qui connaissent son histoire, de sa fortune qu’on a ruinée, de sa carrière brillante qu’on a entravée, de toute sa famille qu’on a plongée dans le désespoir. Les premières fois le magistrat hausse les épaules, insensiblement il se laisse gagner par ces affirmations d’une fermeté inébranlable, par cet accent de conviction ; il finit par croire, lui aussi, à cette noblesse, à cette fortune, à ce génie, auxquels Danry en est peut-être venu à croire lui-même. Alors Danry s’élève plus haut encore : il réclame non-seulement sa liberté, mais des indemnités, des sommes considérables et des honneurs. N’allez cependant pas penser que ce soit par un sentiment de cupidité indigne de lui : « Si je propose un dédommagement, monseigneur, çà n’est point pour avoir de l’argent, çà n’est que pour aplanir toutes les difficultés qui peuvent s’opposer à la fin de ma longue misère. »

Il veut bien, en retour, donner au lieutenant de police des conseils, lui indiquer les moyens d’avancer dans sa carrière, lui enseigner comment il doit s’y prendre pour se faire nommer secrétaire d’État, et lui composer le discours qu’il devra tenir au roi à la première audience. Il ajoute : « Ce temps-cy précisément vous est extrêmement favorable, c’est le quart d’heure du berger, profitez-en. Avant que de monter à cheval, le jour qu’on va faire la réjouissance de la paix, vous devez être conseiller d’État. »

Il veut bien, également, envoyer au roi les projets qu’il a conçus