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« déclamation, » le vieux Grandménil, dont une fois déjà on n’avait trop su que faire, et qui, promené de la place qu’il occupait originairement à une place dans la section de composition musicale, ne devait pas, en entrant dans la section d’histoire et de théorie, arriver pour cela au terme de son odyssée académique. Dix mois plus tard, en effet, il était de nouveau transformé en musicien, et il reprenait à la faveur de ce déguisement, c’est-à-dire sans plus de titres au fond qu’auparavant, la place qu’on lui avait fait quitter. Il n’y fut d’ailleurs réintégré que pour bien peu de temps, puisqu’il mourut le 24 mai 1816, après avoir été, sous les diverses étiquettes successivement attachées à son nom, un des membres de la classe les plus scrupuleux, les plus assidus aux séances, et, dans les rapports avec ses confrères, un des plus faciles et des plus courtois. Si donc il est permis de trouver que, par sa profession et par le genre de son talent, Grandménil ne remplissait pas les conditions nécessaires pour être appelé à siéger à l’Institut, il n’y aura que justice à reconnaître, une fois cette réserve faite, que, au point de vue de la probité et de la modération du caractère, il n’y était nullement déplacé[1].

Complétée, comme elle venait de l’être, ait moins dans les sections de peinture et de composition musicale, par l’adjonction des artistes du dehors les plus éminens, la quatrième classe semblait plus que jamais à l’abri des hostilités contre les personnes et, en raison de sa constitution même, mieux préservée pour l’avenir de toute atteinte à sa stabilité. On verra tout à l’heure comment, sur ce dernier point, les espérances qu’on avait pu concevoir se trouvèrent bientôt démenties, et avec quel empressement à son tour le gouvernement de la seconde Restauration annula les mesures par lesquelles le gouvernement des cent jours s’était hâté de remplacer celles qui avaient été prises en mars 1815, au nom de Louis XVIII ; mais, pour le moment, quels que fussent les périls de la situation politique et l’imminence de la guerre, à l’Institut, et

  1. A l’époque de la Terreur, cette modération que, contrairement à la conduite tenue par plusieurs de ses camarades du théâtre de la République. Grandménil ne craignait pas de témoigner, faillit plus d’une fois lui être fatale : le jour, entre autres, où il avait montré quelque chose de moins que de l’enthousiasme en entendant la lecture d’une pièce ultra-révolutionnaire, le Jugement dernier des rois, œuvre du trop fameux Sylvain Maréchal. Celui-ci, pour mieux s’assurer apparemment la bienveillance de ses juges, s’était fait accompagner, quand il vint présenter sa pièce aux comédiens, de trois membres de la Convention. La lecture finie, Grandménil seul se permit quelques observations : « On pouvait craindre, objectait-il, d’être pendu si jamais les rois revenaient. » — « Voulez-vous donc être pendu dès à présent pour n’avoir pas accepté la pièce ? » répliqua un des compagnons de l’auteur. Grandménil se le tint pour dit : le Jugement dernier des rois fut reçu, mais il s’abstint d’y jouer un rôle.