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extrême. Maurepas chansonnait la fille parvenue jusqu’aux marches du trône, la poursuivait de ses reparties hautaines et cruelles. Sa muse ne reculait pas devant les insultes les plus brutales. La marquise ne ménageait pas davantage ses paroles ; elle traitait ouvertement le ministre de menteur, de fripon, et déclarait à tous qu’il cherchait à la faire empoisonner. Aussi fallait-il qu’un chirurgien fût toujours auprès d’elle, qu’elle eût toujours un contre-poison à sa portée. A table, elle ne mangeait rien la première ; et dans sa loge, à la comédie, elle n’acceptait de limonade que celle préparée par son chirurgien.

Le paquet mis à la poste par Danry arriva à Versailles le 29 avril. Quesnay, médecin du roi et de la marquise, fut prié de l’ouvrir. Il le fit avec grande prudence, reconnut la poudre à poudrer, le vitriol et l’alun, et déclara que toute cette machine n’avait rien de redoutable ; que, néanmoins, le vitriol et l’alun étaient matières pernicieuses, et qu’il était possible que l’on se trouvât en face d’une tentative criminelle maladroitement exécutée.

Il n’est pas douteux que Louis XV et sa maîtresse aient été terrifiés. D’Argenson, qui avait soutenu Maurepas contre la favorite, avait lui-même grand intérêt à éclaircir au plus tôt cette affaire. Le premier mouvement fut tout en faveur du dénonciateur. D’Argenson écrivit à Berryer qu’il méritait récompense.

Aussitôt l’on chercha à découvrir les auteurs du complot. Le lieutenant de police choisit le plus habile, le plus intelligent de ses officiers, l’exempt du guet Saint-Marc, et celui-ci se mit en rapport avec Danry. Mais Saint-Marc n’avait pas passé deux jours en compagnie du garçon chirurgien, qu’il rédigeait un rapport demandant son arrestation. « Il n’est pas indifférent de remarquer que Danry est chirurgien et que son meilleur ami est apothicaire. Je crois qu’il serait essentiel, sans attendre plus longtemps, d’arrêter Danry et Binguet, en leur laissant ignorer qu’ils sont tous deux arrêtés, et en même temps de faire perquisition dans leurs chambres. »

Danry fut mené à la Bastille le 1er mai 1749 ; on s’était assuré de Binguet le même jour. Saint-Marc avait pris la précaution de demander au garçon chirurgien d’écrire le récit de son aventure. Il remit ce texte à un expert, qui en compara l’écriture avec l’adresse du paquet envoyé à Versailles : Danry était perdu. Les perquisitions opérées dans sa chambre confirmèrent tous les soupçons. Enfermé à la Bastille, Danry ignorait ces circonstances, et quand, le 2 mai, le lieutenant-général de police vint l’interroger, il ne répondit que par des mensonges. Le lieutenant de police Berryer était un homme ferme, mais honnête et bienveillant. « Il inspirait la confiance, écrit Danry lui-même, par sa douceur et sa bonté. »