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le cervidés, de bovidés, d’équidés, répandues partout, et leurs attaques se trouvaient en rapport direct avec la proportion d’herbivores aux dépens desquels ils vivaient. L’homme était là pourtant, semblable à très peu de choses près à ce qu’il est aujourd’hui, du moins d’après les restes encore bien incomplets qu’il a été donné de recueillir.

Chose non pas singulière, mais digne de remarque, ce sont ses armes ou plutôt les instrumens primitifs dont, il se servait qui nous révèlent sa présence. Sans ces instrumens de silex, taillés à grands éclats, si, par exemple, l’homme eût alors négligé la pierre pour s’en tenir au bois, nous ne saurions presque rien de lui, notre ancêtre déjà bien éloigné, tellement les débris de ses ossemens sont rares, tellement aussi leur état de conservation et jusqu’à leur authenticité laissent à désirer. Mais grâce à ces instrumens qui, en l’absence d’une division intelligente du travail, cette loi dont l’expérience seule démontrera plus tard la nécessité, paraissent avoir servi autant à frapper qu’à fendre, l’homme d’alors, le contemporain de l’éléphant antique, se découvre à nous comme tenant déjà une certaine place qu’il a réussi à s’assurer. Il fait, à ce qu’il semble, assez bonne contenance vis-à-vis de cette multitude d’animaux effrayans soit par leur masse, soit par leur force et leur cruauté, soit simplement par leur façon de vivre en groupes sociaux. L’homme de cet âge est pécheur et chasseur ; la fréquence relative des instrumens délaissés par lui sur quelques points prouve qu’il choisissait de préférence certains cantons, qui l’attiraient par la facilité d’y vivre, l’abondance du gibier, la douceur du climat. Les instrumens « chéléens, » c’est la dénomination appliquée par M. de Mortillet à ceux de la race dont nous parlons, sont rares ou inconnus dans le voisinage immédiat des anciens glaciers. Jusqu’ici, le bassin du Rhône ni les environs de Lyon n’ont fourni aucun débris de l’industrie chéléenne, qui paraît ne pas avoir pénétré au-delà du département de Saône-et-Loire. C’est dans l’ouest, ou plutôt dans le nord-ouest de la France et plus loin, dans le sud de l’Angleterre, alors réunie au continent, surtout dans les vallées de la Seine, de l’Oise et de la Somme, dans des lits de gravier, que ces instrumens ont été recueillis avec le plus d’abondance. Si l’on se souvient de ce que nous avons dit de l’existence du figuier et du laurier près de Paris, si l’on tient compte également de l’éloignement de cette région de toute chaîne assez haute pour donner naissance à un glacier, de la distance qui la sépare des Alpes, enfin, de l’influence du Gulf-Stream, très sensible le long des côtes de la Normandie, on trouvera tout simple que l’homme européen primitif soit venu s’y établir, comme dans une sorte de paradis