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erratiques » chargée d’inventorier soit dans la région des Alpes, soit au pied des Pyrénées, les blocs les plus remarquables, marqués de grands numéros et confiés à la garde ou à la protection bienveillante de l’état. Lorsque, aux blocs erratiques de toute dimension, on ajoute le lehm ou loess, ou autrement le limon glaciaire, formé de toutes les particules ténues, emportées par les eaux, et exploité sur divers points sous le nom de « terre à pisé, » et que l’on reconstitue ainsi l’ensemble des matériaux arrachés en divers temps aux sommets alpins et charriés par les anciens glaciers, l’esprit demeure confondu de la masse énorme entraînée par l’érosion glaciaire et que les montagnes ont dû perdre, masse certainement suffisante pour faire croire à la diminution de celles-ci en étendue verticale, par le fait d’une ablation opérée graduellement, sur une vaste échelle et durant un temps très long. De là, à la notion théorique que le phénomène glaciaire lui-même et plus tard son retrait auraient pu relever en entier de cette cause, il n’y a qu’un pas, et ce pas a été effectivement franchi ; nous le verrons bientôt.

Que l’on invoque la théorie de la surélévation antérieure et de l’ablation subséquente, celle-ci agissant en sens inverse de l’autre, théorie dont l’honneur reviendrait, d’après M. Falsan, à J. de Charpentier qui la formulait en 1834, ou que l’on s’en tienne à l’observation stricte des faits, il est difficile, nous l’avons dit plus haut, de ne pas rattacher directement la naissance, puis l’extension des glaciers de l’Europe centrale au soulèvement des Alpes, événement que tous les géologues placent dans le dernier tiers de l’époque tertiaire et dont le résultat immédiat fut de constituer des « condenseurs » jusqu’alors inconnus, et par suite d’établir sur tous les points supérieurs à une altitude déterminée[1] des champs de névé, par conséquent des glaciers, formation auparavant impossible, mais ne cessant dès lors de progresser à raison même de la douceur relative et de l’humidité générale des conditions de climat dont l’Europe d’alors jouissait. Ce dernier fait est attesté par les flores contemporaines, particulièrement celle de Meximieux, près de Lyon, explorée avec tant de soin par M. Falsan, et celles du Cantal, dont la connaissance est due à M. B. Rames. Une fois constitués, les glaciers n’eurent qu’à descendre, qu’à prendre de l’extension, jusqu’à atteindre les proportions énormes que les explorateurs leur ont reconnues. La cause qui leur donnait naissance était aussi celle qui influait sur leur marche en avant, sans autre limite à cette marche

  1. La hauteur ou niveau au-dessus duquel la neige devenue permanente peut donner naissance à un glacier dont elle représente la source et assure l’alimentation, varie selon les temps. — Actuellement cette limite est placée entre 2,700 et 2,800 mètres sur les Alpes et les Pyrénées ; sur le Caucase, elle est fixée à 3,300 mètres, et remonte jusqu’à 5,000 mètres sur l’Himalaya.