Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’énergie des anciens glaciers, qui fixent l’attention par leur singularité même. Distribués sans ordre, tantôt épars, tantôt amoncelés, ils étonnent souvent par leur masse. Posés sur le sol, comme par une main invisible, avec leurs angles vifs, leurs accidens à peine émoussés, ils durent frapper la vue de très bonne heure et devenir l’objet, de la part des populations ignorantes, d’une sorte de culte superstitieux. Des signes mystérieux, des creux intentionnels, même des bas-reliefs grossiers furent gravés jadis sur leurs faces.

Certains d’entre eux, tels que celui de la vallée d’Oo, dans les Hautes-Pyrénées, se trouvent surmontés d’une croix. Appuyés et comme suspendus sur d’autres blocs ou fichés en terre de façon à toucher à peine le sol par une base anguleuse, ils offrent un rapport frappant avec les dolmens et les menhirs, ces œuvres de l’homme primitif qui, en les érigeant, imitait, peut-être inconsciemment, celles de la nature. Il est du moins certain que dans la Scandinavie du sud, la plupart des dolmens ou sépultures mégalithiques dont la région est peuplée, ne consistent le plus souvent que dans des blocs erratiques utilisés et régulièrement assemblés, tellement ces sortes de matériaux, s’offrant d’eux-mêmes aux regards de l’homme primitif, l’invitaient à s’en servir pour ses rites funéraires. Les instrumens de pierre, retirés de ces dolmens Scandinaves, sont innombrables, et leur polissage dénote un âge bien postérieur à celui de l’extension glaciaire, l’accès des régions du nord n’ayant été ouvert à l’homme qu’au moment où elles cessèrent d’être obstruées et inaccessibles. Les noms vulgaires de : « Enfans trouvés, Pierre-du-Diable, Galet-de-Gargantua, » mentionnés par M. Falsan, traduisent cette impression superstitieuse des populations, et le bloc perché de La Motte-Servolex, en Savoie, horizontalement suspendu sur deux pierres obliquement fixées au sol, réveille invinciblement dans l’esprit l’idée d’un véritable dolmen, bien que l’action glaciaire soit en définitive la seule cause à invoquer. Plusieurs de ces blocs atteignent des proportions colossales ; il en est qui mesurent jusqu’à 11,000 mètres cubes ; ceux de. 1,000 à 2,000 mètres ne sont pas très rares ; ceux de 500 à 600, assez répandus ; mais on conçoit que ces dimensions soient sujettes à diminuer à mesure que l’on s’écarte du point d’origine ; et pourtant les environs de Lyon, les vallées de la Bresse et celles du Bas-Dauphiné en comprenaient un grand nombre d’intacts, il y a peu de temps encore, dont plusieurs cubant jusqu’à 000 mètres et au-delà. La facilité de débiter ces blocs, comme matériaux de construction, aurait à la fin entraîné leur destruction, si des savans de premier ordre, en Suisse, en Allemagne, aussi bien qu’en France, ne s’étaient entendus pour en obtenir la préservation, à titre de monumens « nationaux. » De là, une commission dite des « blocs