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moderne, impatient de progrès, ses détracteurs reprochent de marcher trop vite dans une voie nouvelle. Il cède au courant qui l’emporte en le rapprochant de nous, et, sur les ruines d’un régime féodal qui a fait son œuvre et son temps, d’une théogonie usée, d’un dualisme despotique écroulé, un nouvel empire du Soleil Levant apparaît, ambitieux d’apporter son concours à l’œuvre commune, plus fier de son évolution rapide, de l’avenir qu’il entrevoit, que des trésors d’art que lui a légués le passé.


VIII

Au sortir de l’exposition japonaise on entre, sans transition, dans la section réservée au royaume de Siam. Ici, l’or et l’ivoire, le cuivre et la soie dominent. L’œil est ébloui par les notes jaunes et blanches, par les couleurs éclatantes. Le fantastique pavillon que le souverain a fait ériger au dehors, à l’intérieur, ces meubles dorés, ajourés, fouillés, sur lesquels défilent en fresques d’or des guerriers aux mines farouches, aux poses d’acrobates, fantoches équilibristes en costumes dorés, constellés de pierreries, ces chaises, ces fauteuils, bureaux, tables, étagères, scintillans, éveillent l’idée d’un rêve des Mille et une nuits. Tout cela flamboie, rutilant, reflétant une lueur d’or dans laquelle apparaissent des figures peintes, vertes, rouges, brunes, aux yeux saillans de langoustes.

Sur des socles dorés, de fantastiques guerriers d’or, dans des poses de clowns, enlèvent des femmes revêtues de cottes de mailles, écailles squameuses d’or qui moulent leurs formes. Elles se débattent aux bras de leurs ravisseurs ; leurs bustes sveltes se tordent en replis serpentins qui contrastent avec les attitudes funambulesques des saltimbanques qui les étreignent. Ces panungs de soie aux vives couleurs, ce luxe asiatique, ces conceptions bizarres aveuglent nos yeux, déroutent notre goût et nos idées. En revanche, le cuivre tordu, repoussé, ciselé, revêt sous les doigts des artistes de Siam les formes les plus étonnantes ; les détails, fins et déliés, en sont d’une rare perfection. S’ils excellent dans la fabrication des tissus d’or et de soie, ils déploient dans le travail de l’ivoire une habileté égale, sinon supérieure, à celle des Chinois qui ne font plus que reproduire leurs anciens modèles sans en créer de nouveaux. Les Siamois, d’autre part, semblent leur avoir emprunté leurs divinités cornues, crochues, chevelues, leurs gigantesques idoles dont une, entre autres, retrouvée dans les ruines de l’antique Ajuthia, avait exigé pour sa confection 25,000 livres de cuivre, 2,000 d’argent et 400 d’or.