Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleine valeur par ses sinuosités savantes le velouté de ses teintes vert pâle ! Son étonnante fantaisie semble se jouer de toutes les difficultés ; du rapprochement des tous les plus variés et les plus inattendus, de l’imprévu des lignes, des combinaisons les plus singulières d’êtres ou de matériaux les plus disparates, il excelle à faire jaillir sa pensée capricieuse.

Sur ce papier de moelle de sureau du Yunnan, sur cette surface d’un blanc d’ivoire, doux à l’œil, qui met si bien en valeur leur coloris éclatant, personnages, oiseaux, fleurs se détachent, lumineux et clairs, amusans à voir, curieux à détailler, d’une vérité parfaite. Dans le goût que l’Europe témoigne pour ces manifestations d’un art si différent du sien, dans la vogue dont jouissent les productions chinoises et japonaises, même auprès des masses, il y a plus qu’un engouement passager pour une civilisation qui se révèle à nous, plus qu’une curiosité éphémère pour ce qui contraste si étrangement avec nos traditions artistiques. Il y a la sensation de l’imprévu, de l’exubérante fantaisie, de la nature et de la vie vues, interprétées et rendues par des yeux, des cerveaux et des mains autres que les nôtres, non plus expérimentés et plus habiles, mais différens. Leurs notes gaies et brillantes chantent aux regards ; jusque dans leur grotesque, la pensée se fait jour, violente et outrée, mais vraie malgré son exagération ; dans leurs paysages, l’observation reste exacte, et, si quelques-unes de leurs œuvres amènent un sourire sur les lèvres des blasés, elles parlent à l’imagination de la foule, sensible à la fidélité des détails, séduite par l’harmonie des couleurs et la note claire qui s’en dégage.

Leur architecture est à la nôtre ce que leur costume est au costume européen. Rien de plus caractéristique, rien qui s’harmonise mieux avec eux-mêmes. On ne se la figure ni ailleurs ni autre. Puis cette architecture, logique en tous ses détails, proclame son antique origine. Quel autre qu’un descendant des Touraniens nomades eût aussi fidèlement assis sur des piliers de bois sans chapiteaux ni bases, représentant les pieux primitifs d’une tente, cette toiture à forme convexe qu’affectent les peaux de bêtes ou les toiles étendues sur des cordes, soutenues par des bambous ? Jusque dans les saillies recourbées des angles de leurs toits, on retrouve le retroussis que formaient les crochets retenant les peaux déployées. Leurs palais eux-mêmes, par leur construction centrale, rappellent un campement de nomades autour de la tente du chef, et, dans les pagodes et les tours élevées l’œil devine encore des tentes superposées, étagées en pyramides.

Si dans leurs peintures et leurs écrans, dans leurs potiches et