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Décalque fidèle des pagodes tonkinoises, le palais reproduit, en les agrandissant, les formes architecturales en usage pour les édifices religieux, empruntant au temple de Quan-Yen sa porte centrale et aux plus curieux spécimens tonkinois ses portes latérales. Sur les hauts plafonds soutenus par des traverses curieusement sculptées, des nattes peintes par des artistes indigènes ; sur les façades extérieures, des peintures, des incrustations de faïences, des motifs de sculpture moulés sur ceux des palais de Tu-Duc et de Gia-Long, sur les tombeaux de Minh-Mauh, nous initient à cet art composite où se fait sentir, à des degrés divers, l’influence du royaume de Siam et de l’empire de la Chine. C’est Siam que nous retrouvons dans ces panoplies d’armes et ces longs boucliers, dans ces peaux de tigres et ces bizarres parasols. C’est la Chine qui apparaît dans cet autel des ancêtres en bois rouge incrusté de cuivre, dans ces écrans de marbre aux teintes vagues et noyées d’ombre, dans ces lanternes emmanchées, dans ce Siva hindou aux bras multiples, idole antique, présent de la Chine à l’Annam, dans cette cloche d’airain, envoi de M. Herminier.

Grêle et petite, maigre et glabre, cette race, dont la langue dérive de celle du Céleste-Empire, n’a emprunté au Chinois ni sa prodigieuse âpreté au gain, ni sa passion pour le commerce. Agriculteur par instinct, l’Annamite a peu créé, peu inventé dans le domaine artistique. Copiste ingénieux, il a reproduit ce qu’il voyait chez ses voisins, qui d’ailleurs ne lui laissaient guère à innover.

Limitrophe à la Chine, dont le séparent des pentes douces, peu élevées, sillonnées de riches vallées, voies ouvertes et naturelles qui débouchent sur le Kwang-si et le grand réseau de la rivière de Canton, le Tonkin est la tête de ligne indiquée de la voie ferrée qui donnerait accès dans la Chine méridionale, voie ferrée que les Anglais rêvent d’établir par la Birmanie en escaladant des massifs montagneux de 2,000 mètres d’attitude et en effectuant un parcours de 1,500 kilomètres. Par le Tonkin, un tracé de 200 kilomètres sur des pentes de 600 mètres au maximum permettrait d’atteindre les mêmes points et de déverser dans le golfe français les produits d’un sol peuplé de 80 millions d’habitans, produits qui mettent aujourd’hui, par la Chine, de soixante à quatre-vingts jours pour gagner la mer. En exposant, il y a quelques jours, aux applaudissemens d’un auditoire d’élite réuni dans la salle des conférences de la Société de géographie, ce projet grandiose et les moyens de le réaliser, M. le marquis de Mores a bien mérité de la France. Laissant de côté des récriminations intempestives et vaines, le jeune et hardi explorateur, le vaillant officier a relevé, par son éloquente plaidoirie, bien des espérances défaillantes ; il a montré le rôle que