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tordant et contournant le bois, y incrustant ses bizarres conceptions et ses nacres aux reflets changeans. Du meuble, il a fait ce qu’il fait de nos idées, brodant sur l’un comme sur les autres ses ingénieuses arabesques, le ; métamorphosant à son goût, le façonnant à sa mode, lui donnant l’empreinte de son génie particulier.

Sur les murs, en panoplies, s’étalent des écailles aux reflets verdâtres, tachées de noir, épingles, peignes, agrafes d’un travail achevé et délicat. Observez dans les vitrines les représentans de ce monde d’insectes qui peuplent l’Inde, ces copros colossi, lourds, massifs, aux formes éléphantesques, ces répugnans xylotrapes gédéon, à faire fuir malgré leur taille minuscule, tant en eux se résument et se concentrent des formes hideuses qu’involontairement l’imagination grossit. Sur les étagères d’un merveilleux travail, des potiches de bronze étalent leurs reliefs contournés et les pagodes leurs étages superposées.

Un jour discret, voilé, filtre dans le frais palais, éclairant d’une lueur mystérieuse les salles profondes, et, dans le silence, on entend bruire les sons étouffes et traînans, les mélopées sourdes ou aiguës qui guident les pas des danseuses de Java.

C’est l’extrémité de l’Asie, l’Asie des îles de la Sonde, aux noms sonores et doux, à la flore enivrante, aux forêts vierges, à la faune d’une infinie variété. Le royaume des Épices, cette riche et fertile contrée dont, au XVIe siècle, l’Europe rêva, que ses hardis navigateurs cherchaient par-delà le cap Horn, et dont est sortie la race canaque qui peuple la Polynésie, la populeuse Java, miroir où se reflètent l’Inde et la Chine, étale derrière le palais de la Cochinchine son Kampong exotique, ses cases rudimentaires. Sur un théâtre improvisé, elle nous montre son gamelang, orchestre bizarre, ses tandaks, danseuses énigmatiques et souriantes.

En file indienne les musiciens parcourent le village, agitant en mesure leurs instrumens criards d’où se dégage une symphonie que l’oreille perçoit avec effort. Immobiles sur l’estrade, les danseuses, tandaks du sultan de Solo ; les jambes, les bras et les pieds nus, le haut du torse découvert, laissent voir une peau de safran, d’un jaune invraisemblable et morbide. Etres inquiétans, leurs yeux obliques dont la courbe remontante va rejoindre l’arc des sourcils dardent des regards perçans sous leurs chaudes paupières orientales ; leurs lèvres pourprées s’entr’ouvrent railleusement. Entre les joues pleines le nez large, épaté, leur donne l’aspect de Bouddhas femelles. Du casque sarrasin ou de la tiare dorée qui, recouvrant leurs têtes, ne laisse voir de leur chevelure que deux mèches noires sur les tempes, des pendeloques descendent ; au cou, une plaque d’or, puis un fouillis d’étoffes éclatantes qu’enserre autour de la