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éclaircissemens qui pouvaient me rendre ma tranquillité, elle me les donnait avec tant de grâce ! .. Elle ne me disait pas qu’elle m’aimait, mais elle me disait qu’elle comptait tant sur mes sentimens pour elle, qu’elle me faisait presque autant de plaisir. »

Elle le lui dit cependant, peut-être lorsqu’il rentra définitivement en France, après la signature de la paix, peut-être plus tard, mais sans renoncer à cette amitié amoureuse, à cette idéalité tendre dont elle s’était juré de ne point franchir les bornes : la durée de cette affection mutuelle, l’indifférence de la marquise à l’égard des maîtresses que Lauzun continua d’avoir, l’opinion si autorisée du prince L.., tout atteste qu’elle voulut rester l’amie du cœur et de l’esprit, garder l’âme seule de celui qu’elle avait distingué, abandonnant aux autres la papillonne, les caprices, le ramage banal de la galanterie. Cet amour ardemment platonique trouve son expression touchante dans les vingt et une lettres qu’elle lui écrivit de Londres en 1791-1792, lettres qui, en même temps qu’elles respirent une sensibilité exquise, révèlent une brillante épistolière, un penseur humoristique, perspicace quand la haine ne l’aveugle pas, un moraliste habile à revêtir ses idées d’une forme originale et personnelle. Donnons d’abord quelques fragmens de ce reliquaire du sentiment, ceux où vibre cette âme attendrie par l’absence, par les dangers de tout genre qui planent sur une tête si chère.

De loin comme de près, vous êtes vraiment la lumière et la douceur de ma vie… Vos plaisanteries seules entretiennent la gaîté de mon caractère et l’intelligence de mes esprits… Adieu, vous qui n’êtes guère plus capable que coupable de prudence. Écrivez-moi votre destinée, et qu’elle ne me soit pas si inconnue qu’elle me semble étrangère.

Votre lettre a pris le chemin de Londres, tout aussi directement qu’elle a trouvé le chemin de mon cœur. Elle m’est arrivée avec toute la promptitude, non pas d’une réponse, mais d’une repartie… Vous pensez bien que je n’en partirai (d’Angleterre) que pour retourner en France. Tant de choses m’y appellent qu’il est bien juste qu’il y en ait une qui m’y ramène. Adieu, donnez-moi l’espérance de vous revoir, dussiez-vous même la tromper. J’aime l’illusion : la réalité m’y attache chaque jour davantage.

Votre cœur est aimable comme votre esprit, et vous avez l’air de m’aimer pour mon plaisir, quand vous ne le pouvez pas pour mon bonheur.

Je ne veux pas finir l’année sans vous dire combien je regrette de ne la pas commencer avec vous… Je vous jure que quatre heures n’ont pas encore frappé mes oreilles sans me donner un serrement de cœur. Si rarement ce moment de ma journée se passait sans vous ! Vous me plaisiez, vous m’intéressiez et vous m’amusiez tant… Adieu… Vous