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Elle appartenait par son père à la plus haute noblesse d’épée, par sa grand’mère à la noblesse de robe : pour redorer son écusson, le marquis de Conflans, maréchal d’Armentières, avait épousé Françoise de Bouteroue, richissime héritière, fille d’un ancien procureur au Châtelet, secrétaire et intendant de la princesse des Ursins. Compagnon de plaisirs et en quelque sorte directeur de conscience galante du prince de Galles, son père, d’après les Mémoires du comte Valentin Esterhazy, faisait parade de plus de vices qu’il n’en avait : homme de talent et d’esprit, obligeant, menteur sans être faux, ivrogne sans aimer le vin, et libertin sans tempérament. Le duc de Lévis l’appelle un Lovelace militaire, et raconte qu’à un repas de corps, voyant un vieil officier de hussards se servir d’un verre qui tenait près d’une pinte, il ôta une de ses bottes, la remplit de vin et la but à sa santé. Le comte de Lautrec se faisant suivre par un jeune loup en guise de chien, M. de Conflans achète un de ces ours qui dansent, et l’établit gravement derrière sa chaise, en habit de hussard, avec une assiette entre ses pattes de devant : dans les excès comme dans le reste, il ne souffrait point qu’on le dépassât. Grande, belle et bien faite, avec un air hautain, une intelligence virile, un esprit très orné, Mlle de Conflans montre de bonne heure son humeur impérieuse, son âme rebelle à toute domination ; élevée à l’Abbaye-aux-Bois avec la princesse Hélène Massalska, et, dès l’enfance, indocile au frein, prompte au sarcasme, au mépris, à la haine, aspirant naturellement aux premiers rôles, et tentée de se croire d’une essence différente des autres femmes. Un tel est-il simple avec simplicité ? interrogeait Mme Geoffrin. Admettons, avec le prince de Ligne, qu’elle était simple, qu’elle ne courait pas après l’épigramme qui venait sans cesse la chercher, qu’elle eut l’esprit de Mme du Deffand, le goût de la maréchale de Mirepoix ; mais quand il proclame sa bonté, on sent trop qu’il se soucie de plaire, à l’exemple des courtisans qui vantent les qualités absentes auxquelles prétend l’objet de leurs flatteries. Non qu’elle fût méchante, dans le sens absolu du mot : elle hait bien ses ennemis, elle aime bien ses amis ; mais la bonté consiste dans un état général du caractère, et, non contente d’exercer sa finesse sur les choses, la marquise la déploie assez volontiers contre les personnes. Sa sœur cadette avait, en 1781, épousé le jeune prince de Rohan-Guéménée, duc de Montbazon et de Bouillon : elle ne pardonna pas à la reine d’avoir fait retirer aux Guéménée leurs charges et pensions lors de la fameuse banqueroute. La disgrâce du cardinal de Rohan, après la mystérieuse affaire du collier (la reine n’a pas le caractère franc du collier, disait-on), le refus d’accorder à son père les ordres du roi, lui furent de nouveaux motifs de se poser en adversaire irréconciliable. Louis XVI avait eu le mauvais goût de