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accordée à son compétiteur Pajou pour les fonctions de président de la classe, et, par suite, de la résolution qu’il avait prise de ne plus venir que de loin en loin à l’Institut. David, nous l’avons dit, avait fini par cesser absolument d’y paraître ; il s’en tint éloigné pendant toute la durée de la première Restauration, sauf le jour où eut lieu cette séance publique de 1814 dont nous avons parlé déjà, séance au cours de laquelle il eut à subir un auront aussi imprévu, aussi injustifiable au fond que regrettable à tous égards dans les formes.

Contrairement à la règle qu’il s’était imposée et qu’il observait rigoureusement depuis quelques mois, David, ce jour-là, s’était joint aux autres membres de la quatrième classe. Deux de ses élèves se trouvaient au nombre des jeunes artistes qui avaient remporté les grands prix, et, suivant l’usage consacré en pareil cas pour tous les lauréats, ils devaient, une fois en possession de leurs couronnes, s’approcher de leur maître et recevoir ses embrassemens sous les yeux du public. La présence du duc d’Angoulême, qui d’ailleurs n’avait formulé à ce sujet aucune exigence, aucun désir même, décida bien malencontreusement certains officieux à supprimer cette partie du cérémonial accoutumé. Après avoir été couronnés par le prince, les deux élèves de David furent reconduits directement à leurs places. Bien plus : au moment de la proclamation des prix, on avait passé sous silence le nom du peintre auprès duquel ils s’étaient formés, quoique ce nom figurât sur le programme imprimé dont le duc d’Angoulême avait, comme chacun des assistans, un exemplaire sous les yeux ; et, pour comble de maladresse, l’un de ces deux lauréats sortis de l’atelier de David, Léopold Robert avait été formellement signalé au public comme « n’ayant pas eu de maître. » Il y avait là non-seulement une énonciation mensongère, mais un procédé d’élimination déloyal, une sorte de mise hors la loi par prétention à l’adresse d’un homme qui n’était à cette époque l’objet d’aucune exception décrétée, d’aucune mesure de réprobation légale, et contre qui le gouvernement royal lui-même ne devait songer que deux ans plus tard à sévir. Si tristes que fussent les antécédens politiques de David, ceux qui prétendaient ainsi venger sur lui la morale publique n’arrivaient en réalité qu’à le rendre intéressant, puisqu’il devenait grâce à eux une victime de l’arbitraire, et que, sans avoir été même accusé, il était traité en coupable reconnu.

Il ne semble pas, au surplus, que David ait ressenti fort douloureusement l’outrage public qu’il venait d’essuyer. Peut-être même le sentiment excessif qu’il avait de sa propre importance et le besoin, habituel chez lui, de faire figure aux dépens ou en dehors de ses confrères, ne laissèrent-ils pas d’y trouver jusqu’à un