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française. Presque toutes les études de Troyon, solides et chaudes, le Bœuf dans une prairie, la Vache blanche, etc., enchantent par cette même franchise large et heureuse.

Les deux maîtres de cette période auxquels on a fait la plus large part sont Millet et Courbet. Tous deux se rattachent à l’école des paysagistes. L’importance qu’ils ont prise dans le mouvement général est précisément due à l’idée qu’ils ont poursuivie, eux, peintres de figures, d’associer les figures au paysage et d’appliquer à l’étude des figures les principes simples et clairs de la méthode paysagiste. Il n’est pas d’ailleurs deux natures d’esprit plus opposées. Millet, comme Corot, est un classique. Dans sa jeunesse, il ne rêvait que mythologie, belles musculatures, scènes plastiques et héroïques. Sa Nymphe et Satyre, son Œdipe détaché de l’arbre, de 1847, le montrent sous cet aspect. Il conserva, de ces débuts studieux, un goût profond pour les maîtres simples et, graves. On a, depuis longtemps remarqué les affinités de ses procédés, dispositions par larges masses, simplifications des modelés, tonalité grise et sourde, avec ceux des fresquistes italiens, ou plutôt de Le Sueur. L’étude des graveurs puissans d’Italie et de Hollande, de Marc-Antoine, des traducteurs de Michel-Ange, de Van Ostade est visible dans tous ses dessins. La Tondeuse de moutons du Salon de 1853, par la majesté large et sévère de l’exécution, semble un morceau détaché d’une muraille ; personne n’est plus près, pour la haute simplicité de la vision, de la grande renaissance et de la grande antiquité, que ce solitaire de Barbizon, vivant au milieu d’une plaine dénudée et de paysans misérables. Les Glaneuses, qui resteront son chef-d’œuvre réunissent l’ensemble des beautés classiques, la clarté rythmique de l’ordonnance, la puissance sculpturale des attitudes, la simplicité noble des expressions, la tranquillité chaude de l’enveloppe lumineuse. C’est dans l’Homme à la houe qu’il a peut-être atteint son maximum d’intensité chaleureuse. La transformation de la laideur abêtie par la force de la sensation ressentie et par le rayonnement du paysage y est opérée avec une sincérité et une simplicité magistrales. Il faut reconnaître d’ailleurs que Millet est fort inégal, comme peintre et même comme dessinateur. L’Exposition générale de ses œuvres l’avait déjà montré. La simplification massive du dessin enlève parfois à ses figures engoncées toute apparence de musculature, de mouvement, de vie. Sa peinture est souvent pénible, tâtonnée, plâtreuse, sans accent et sans air. Dans les dessins et les pastels, ce faire laborieux est moins sensible et moins choquant ; on en ressent, de plus près et plus à l’aise, l’extrême conscience et la grande sincérité. Presque tous les dessins exposés, représentant des scènes de la vie champêtre, étaient déjà