Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est celui qui, par instans, fait le mieux sentir l’éternité calme, durable, mais non pas insensible, des choses. On peut pardonner à un pareil artiste, si profond et si varié, de n’avoir pas le style coulant d’un improvisateur.

Il y a moins de chaleur, d’intensité passionnée, d’interprétation personnelle chez Théodore Rousseau, mais par combien de nouveaux tôt rares mérites se trouve compensé ce manque d’imagination ! Personne, depuis Hobbema, n’avait analysé le paysage avec une acuité si obstinée et si pénétrante. La conscience, chez Rousseau, arriva même, sur la fin de sa vie, à de tels excès de scrupules qu’il perdit le sens des ensembles à force de minuter le détail. Son travaille rendu, dans la Maison de garde et l’Allée de village, par exemple, devient une sorte de tapisserie au petit point, un tâtillonnage puéril et agaçant. Mais ce sont les œuvres de sa maturité qu’il faut regarder, et celles-là sont, de tout point, admirables tant pour la netteté de l’expression que pour la justesse de l’impression. Seize toiles portent son nom, et l’on en voudrait trouver davantage. Avec lui on est sûr de la variété autant que de la sincérité. Les effets de printemps, par exemple, ces verdures fines, légères et fraiches, qui frissonnent dans la lumière entre des eaux transparentes et un ciel limpide, comme dans les Bords de l’Ain et le Matin, sont d’une exactitude et d’un charme prodigieux. Lorsqu’il entre en pleine forêt, il n’a pas non plus son pareil pour donner aux troncs des chênes leur solidité, aux feuillages des hêtres leur majesté, aux branchages des bouleaux leur légèreté, pour rendre, avec une précision incomparable, les traînées de soleil sur les clairières et les profondeurs de l’ombre sous les futaies. La sincérité patiente, chez Rousseau, devient presque du génie.

Avec Diaz, Troyon, Daubigny, on n’a pas affaire à des artistes d’une si haute trempe que Jules Dupré et Théodore Rousseau. Il va chez eux moins d’autorité, moins de hardiesse, plus de bonhomie familière, mais quels beaux peintres encore, francs et chaleureux ! Est-ce Diaz qui imite Rousseau ? Est-ce Rousseau qui imite Diaz ? Toujours est-il que le Matin sous bois, signé Diaz, est un chef-d’œuvre, pour lequel nous donnerions volontiers toutes les fantaisies érotiques, toutes les nymphes laiteuses et les amours mollasses, qui ont fait de Diaz le Corrège des grisettes. Les paysans de Troyon peuvent être des lourdauds, mais toutes ses bêtes, vaches, bœufs, moutons, sont des personnages extraordinairement intéressans. On ne saurait les faire vivre, simplement, puissamment, en pleine herbe et en pleine lumière, avec plus de vérité et plus de charme. La Vallée de la Touque est l’exemple le plus complet de cette représentation loyale, saine et robuste de la campagne